Zeynab Cissé est la responsable du développement business à Africa Risk Capacity Limited (ARC Ltd), une structure crée par l’Union Africaine (UA), avec pour mission de fournir des solutions d’assurance et de transfert de risques aux pays africains. Elle est y chargée de mettre en œuvre des programmes d'assurance en Afrique de l'Ouest et du Sud. Au service des Etats membres de l’UA et des groupes d’agriculteurs, ARC Ltd utilise des outils de financement innovants pour mutualiser les risques climatiques en Afrique et les transférer vers les marchés internationaux, contribuant ainsi à renforcer les réponses africaines aux catastrophes naturelles, à partant la sécurité alimentaire. Dans cette interview accordée à C’Finance, votre média spécialisé dans le traitement de l’information financière, Zeynab Cissé, explicite le concept d’assurance paramétrique, aborde les enjeux et défis liés à cette assurance paramétrique, sa contribution au développement du secteur agricole en Afrique, ainsi que le rôle des Etats et des compagnies d’assurance dans sa mise à l’échelle sur le continent.
C’Finance (C.F) : Dans le domaine de l’assurance, notamment agricole, on attend parler d’assurance paramétrique. Pouvez-vous nous expliquer davantage ce concept ?
Zeynab Cissé (Z.C) : L'assurance paramétrique est aujourd'hui un peu différente de l'assurance indemnitaire, car, pour l'assurance indemnitaire, appelée aussi assurance classique, pour qu'il y ait une indemnisation, il faut qu'on aille constater les pertes réelles subies. Par contre, pour l'assurance paramétrique, on utilise des indices météorologiques, climatiques et parfois des indices de rendement pour designer un indice. L'indice est fait de manière transparente qui permet de déclencher rapidement les paiements en 10 jours maximums. C'est une alternative très efficace par rapport à l'assurance indemnitaire, car elle permet d'indemniser rapidement et de mettre en place aujourd'hui des plans de réponse adaptés aux populations vulnérables.
C.F : L'assurance paramétrique constitue-t-elle donc la solution aux défis du secteur agricole africain ?
Z.C : L'assurance paramétrique est l'une des solutions aux défis du secteur agricole africain, car qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de mécanismes qui sont en train d'être mis en place pour relever ces défis-là. Le premier aujourd'hui est les mesures d'adaptation, d'atténuation, de mitigation qui sont mises en place. L'assurance aujourd'hui est vue comme un moyen de transférer le risque dans le marché financier, en complément aux dispositifs qui sont mis en place et qui permettent de les compléter.
Aujourd'hui, dans la présentation qui a été faite.
C.F : Vous êtes spécialiste en gestion des risques. Selon vous, quel est l'état des lieux de prise en compte de cette assurance paramétrique en Afriques ?
Z.C : Déjà, il y a une très grande avancée qui a été réalisée par les Etats, surtout quand ils décident de créer une structure comme le groupe ARC Ltd, pour se prévenir contre les aléas climatiques. Il y a beaucoup de gouvernements qui ont fait de très grands efforts, comme le gouvernement sénégalais qui a mis en place une politique de subvention de l'assurance agricole à hauteur de 50%. On a aussi le gouvernement burkinabé qui subventionne l’assurance agricole. Ces deux pays constituent aujourd'hui les exemples les plus importants qui permettent de maintenir la durabilité du modèle. Car, en général, quand on n'a pas l'appui du gouvernement avec des subventions, il peut être difficile de mettre en œuvre des programmes d’assurance paramétrique. On a aussi la Côte d'Ivoire et d'autres pays qui sont en train de lancer des programmes agricoles en mettant aussi en place une assurance agricole pour couvrir ce type de produit assurantiel.
On se rend compte que l'un des problèmes qu'ont les producteurs est l'accès au financement. Pourquoi ? Parce que, les banques sont frileuses à l'idée de donner du crédit aux agriculteurs, l'agriculture, avec les aléas climatiques, étant vue comme très risquée. Le fait de mettre une assurance permet aujourd'hui de garantir un peu le crédit que les banques vont donner aux agriculteurs. Ce qui va donc leur permettre d'avoir beaucoup plus accès au financement, car les banques vont prêter plus.
C.F : A côté du rôle de l'Etat, et quels rôles les compagnies privées d'assurance doivent-elles jouer dans la mise en œuvre de cette assurance paramétrique ?
Z.C : Les compagnies privées sont celles aujourd'hui qui vont designer le produit, aider à faire la sensibilisation, car tout le monde ne connait pas ce qu'est une assurance, comment elle fonctionne. C'est donc elles aujourd'hui qui vont appuyer à faire le plaidoyer pour expliquer comment ce produit-là fonctionne, faire le renforcement des capacités, d'abord au niveau étatique pour que les Etats puissent mieux comprendre l'importance de l'assurance, mais aussi pour aider les populations vulnérables à comprendre pourquoi ils devraient prendre une assurance pour mieux se protéger.
C.F : Les compagnies d’assurance, qui sont habituées à des produits assuranciels classiques, sont-elles réceptives à ce modèle d'assurance : l’assurance paramétrique ?
Z.C : Tout à fait ! Aujourd’hui, les compagnies d'assurance l’implémentent de plus en plus. C'est vrai qu'au départ, il n'y avait pas beaucoup de compagnies d'assurance qui le faisaient, justement parce qu’elle n'était pas très connue. Les premiers programmes qui ont été lancés étaient vers 2009, puis 2011, avec le programme Assurance Récolte Sahel qui a été financé par le Global Index Insurance Facility de la Banque mondiale et qui avait permis de capaciter certaines compagnies dans certains pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal et la Côte d'Ivoire pour justement mettre en œuvre ces programmes d'assurance et couvrir les producteurs.
Au début, effectivement, il n'y avait donc pas beaucoup de compagnies d'assurance qui s’intéressaient à ce type d’assurance, pas qu'elles ne voulaient pas, mais parce qu'elles n'avaient pas la capacité de designer des produits d'assurance paramétrique climatique. Mais maintenant, il y a des renforcements de capacités qui se font de plus en plus, certaines structures organisent des sessions de formation, même des fois à l'étranger. Cela permet aujourd'hui aux compagnies d'assurance de voir qu'il y a une réelle opportunité et elles sont en train de renforcer leurs capacités à pouvoir prendre le risque. Aujourd'hui, en plus d'aider les gouvernements à se prévenir contre les risques climatiques, l'ARC a aussi un rôle central dans la mise en œuvre des programmes de renforcement des capacités pour les compagnies d'assurance.
Et aujourd'hui, nous aidons effectivement ces compagnies d'assurance-là qui ne savent pas en réalité comment designer des produits, en renforçant leurs capacités, en leur montrant comment faire pour bien développer des produits d'assurance indiciels. Il peut s’agir des assurances climatiques, des assurances de rendement, ou d’une assurance hybride où on couple une assurance climatique avec une assurance de rendement.
C.F : Autrement dit, aujourd'hui, nombre de compagnies n'ont pas encore les compétences techniques pour opérationnaliser ce type de produit assuranciel…
Z.C : Tout à fait. Il n'y a pas beaucoup de compagnies d'assurance aujourd'hui qui sont spécialisées là-dessus. Dans la zone UEMOA, les pays où les compagnies d'assurance sont les plus avancées, le premier exemple est la CNAS, la Compagnie nationale d'assurance agricole du Sénégal, qui est pionnière et est exclusivement orientée vers ce type d’assurance agricole. Et d'ailleurs, aujourd'hui, la CNAS est appelée dans plusieurs pays pour aller former les différentes compagnies d'assurance, pour montrer comment elle a été mise en place, et comment elle fonctionne. On espère qu'avec l'appui des bailleurs, beaucoup plus de compagnies d'assurance vont être moins frileuses et pourront renforcer leurs capacités pour pouvoir développer des produits pour couvrir les agriculteurs.
C.F : Au Burkina aussi, il y a Yelen Assurances qui est pionnière en matière d’assurance climatique….
Z.C : Effectivement, au Burkina Faso, il y a Yelen Assurances, que je connais d’ailleurs très bien, avec Joël Bamogo, Souleymane Zaré et Idrissa Karama. J'ai cité le Burkina et le Sénégal, car ce sont les deux gouvernements qui sont très en avance et qui aujourd'hui ont mis en place une subvention de l'assurance agricole. Et le Burkina est allé un peu plus loin, car il vient de mettre en place un consortium national, pas seulement sur l'agriculture, mais pour mettre en œuvre tous les risques. Il y a effectivement Yelen Assurances qui est lead du consortium, et qui fait du très bon travail !
C.F : Avez-vous un appel à lancer pour une meilleure promotion de ce produit assurantiel qui constitue une alternative aux problèmes de l’agriculture africaine ?
Z.C : Aujourd'hui, nos États devraient aider un peu plus la structure qu'ils ont créée, l'ARC, en contribuant déjà à renforcer son capital. Car, comme vous le savez, de plus en plus, les aléas climatiques font que chaque année, les sinistres sont de plus en plus importants, avec donc des indemnisations qui sont de plus en plus importantes. L'autre élément aujourd'hui est que les banques devraient mettre en place des Fonds de garantie régionaux climatiques. Et la BOAD, par exemple, pourrait être très indiquée pour faire cela. Ce qui pourrait éventuellement aider des structures comme les compagnies d'assurance à renforcer leurs garanties, et les banques de la zone à renforcer aussi leurs garanties et partant, à prêter plus aux agriculteurs.
Interview réalisée par la Rédaction de C’Finance
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