Tarifs douaniers de Trump : « les pays africains qui exportent beaucoup aux Etats-Unis seront les plus durement affectés », selon Pr Ousseni Illy, enseignant-chercheur en droit international économique

Dans une interview accordée au quotidien burkinabè Sidwaya, Pr Ousseni Illy, enseignant-chercheur en droit international économique à l’Université Thomas Sankara, analyse les motivations et les impacts des nouveaux tarifs douaniers imposés par le président américain, Donald Trump. Cette politique commerciale de Trump pourrait avoir de nombreuses répercussions sur le commerce mondial.
Le président américain, Donald Trump, a récemment annoncé une série de nouveaux tarifs douaniers sur les produits étrangers entrant aux États-Unis, allant de 10 % à plus de 100 % pour certains pays. Pr Ousseni Illy, enseignant-chercheur à l'université Thomas-Sankara de Ouagadougou et chercheur associé au Center of the Study of African Economies (CSAE) de l'université d'Oxford s’est prononcé, dans les colonnes du quotidien d'Etat burkinabè "Sidwaya", sur cette actualité qui a ébranlé les marchés boursiers et mis en alerte plusieurs pays.
Selon lui, ces mesures, qui concernent environ 80 nations, s'inscrivent dans sa stratégie de « Make America Great Again », et visent à relancer l'industrialisation américaine et à renforcer son pouvoir de négociation sur la scène internationale.
« Le président Trump, depuis son arrivée, a fait des tarifs douaniers, un de ses outils de politique économique internationale, voire de politique internationale tout court. Cela donnera-t-il les résultats qu’il espère, c’est-à-dire « Make America Great Again » ? On attend de voir mais rien n’est gagné d’avance », s’interroge-t-il.
Dans son analyse, l’enseignant-chercheur distingue trois catégories de droits de douane dans cette politique du président Trump : les tarifs ciblés, appliqués aux pays avec lesquels les États-Unis ont un déficit commercial ; les tarifs réciproques, équivalents à ceux appliqués par les pays concernés aux produits américains ; et les tarifs planchers, fixés à 10 % pour tout produit entrant aux États-Unis.
Une stratégie commerciale à risques
Pr Illy souligne que ces mesures, bien qu'attendues, surprennent par leur niveau, notamment les 145 % appliqués aux produits chinois. Il estime que la stratégie américaine comporte des risques. L’enseignant-chercheur met en garde contre les effets temporaires des tarifs douaniers, qui peuvent être contournés ou absorbés avec le temps. Il note également que même les alliés traditionnels des États-Unis, tels qu'Israël, ne sont pas épargnés, ce qui pourrait nuire aux intérêts américains à long terme.
Concernant l'Afrique, Ousseni Illy explique que les pays africains sont principalement touchés par les tarifs planchers. Parmi les plus durement affectés figurent le Lesotho, Madagascar, l'île Maurice, le Botswana et l'Afrique du Sud, avec des surtaxes allant jusqu'à 50 %. « Les pays africains qui exportent beaucoup aux Etats-Unis seront les plus durement affectés », explique-t-il.

Toutefois, il estime que l'impact sur les pays de l'AES reste limité en raison de leur exclusion de l'AGOA et de leur faible exposition aux tarifs ciblés et réciproques.
« Aucun de ces pays n’est concerné par les tarifs réciproques ni les tarifs ciblés qui sont les plus élevés. Néanmoins, il se pourrait qu’ils soient affectés par le tarif plancher de 10%, dans la mesure où ce tarif pourrait être plus élevé sur certains produits que le tarif de la nation la plus favorisée qui leur était appliqué depuis leur sortie de l’AGOA », précise l’enseignant-chercheur.
Il exprime également ses préoccupations quant aux conséquences globales de cette guerre commerciale. Selon lui, le ralentissement du commerce mondial pourrait entraîner des pertes d'emplois et une baisse du pouvoir d'achat des populations. En Afrique, il y voit un éventuel risque d'afflux de marchandises étrangères vers les pays les plus exposés, ce qui pourrait étouffer l'industrie locale.
« Nous sommes à un tournant de l’histoire … »
C’est pourquoi, soulignant l'importance du rôle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) dans la résolution de ces conflits, il souhaite un retour aux règles multilatérales pour désamorcer les tensions commerciales. Car, dira-t-il, dans tous les cas, personne ne sera à l’abris des conséquences d’un retour brutal au passé, c’est-à-dire un monde sans règles.
In fine, analysant la décision du président américain de suspendre l’application des tarifs sauf à l’égard de la Chine, l’enseignant-chercheur y voit une volteface qui montre que Donald Trump « n’est pas très sûr de sa stratégie et qu’elle est risquée ». En cela, la très mauvaise réaction des marchés américains à la suite de l’annonce des tarifs et l’intention affichée des autres pays de réagir, en appliquant des contre-mesures ont pesé dans la balance pour cette suspension provisoire, estime-t-il. En tout état de cause, argumente-t-il, les tarifs douaniers n’ont qu’un effet temporaire, puisque les gens finissent par s’adapter avec le temps ; soit en les contournant ou en les absorbant, soit en prospectant d’autres marchés.
Le moins que l’on puisse dire est que cette guerre commerciale entre puissances économiques pourrait contribuer à écrire une nouvelle page de l’histoire du commerce mondial. « Nous sommes à un tournant de l’histoire. Certains pensent que c’est la fin du monde post-Seconde guerre mondiale avec toutes les instances multilatérales mises en place pour encadrer le comportement des Etats. D’autres pensent plutôt qu’il s’agit d’une crise. J’espère qu’il s’agit plutôt d’une crise et que les uns et les autres reviendront à de meilleurs sentiments », conclut l’enseignant-chercheur.
Synthèse de Mouni N’GOLO