Burkina Faso : 93,5 % des travailleurs occupent un emploi informel

L’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) a rendu publiques des données récentes sur l’emploi et le chômage au Burkina Faso issues de sa toute première Enquête nationale semestrielle sur l’emploi (ENES 1). Les résultats de cette enquête ont été présentés à la presse à l’occasion de l’atelier de dissémination, le 10 avril 2025 à Ouagadougou.
Les chiffres du chômage sont en baisse au Burkina Faso, tandis que le taux d’emploi est marqué par une certaine précarité. C’est ce qui ressort des enquêtes récentes de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), en l’occurrence la première Enquête nationale semestrielle sur l’emploi (ENES1), couvrant le second semestre 2024 et l’Enquête nationale de base sur l’emploi et le secteur informel (ENB-ESI) de 2023. Les résultats de ces deux enquêtes ont été rendues publiques au cours d’un atelier de dissémination, le jeudi 10 avril 2025 à Ouagadougou.
Les résultats révèlent un taux d’emploi national de 69,1 %, en forte hausse par rapport à 2023 où il s’était établi à 47 %, soit une progression de 22,1 points. Quant au taux de chômage, il est estimé à 3,5 %, un chiffre en baisse.

Néanmoins, il convient d’émettre de la nuance dans l’appréhension des chiffres du chômage, selon le chef de service des statistiques sociales à l'INSD, Rodrigue Maré, qui insiste sur le caractère majoritairement informel de la main d’œuvre.
« L’un des constats les plus frappants est l’extrême prédominance de l’informalité sur le marché du travail burkinabè », a-t-il fait remarquer.
Un taux de chômage de 10 % à Ouagadougou, 9 % à Bobo-Dioulasso
Selon les données de l’INSD, en effet, 93,5 % des travailleurs occupent un emploi informel, une proportion qui atteint 98,7 % dans le secteur agricole, 92,7 % dans le commerce, et 65,8 % dans les "autres services". Seul le secteur industriel affiche une moindre informalité (32,6 %).
Et selon Mr Maré, cette informalité massive signifie que la grande majorité des travailleurs n’ont ni contrat écrit, ni protection sociale, ni droits clairement établis. En clair, le travail existe, mais reste fragile et précaire.
Aussi, le taux d’emploi élevé cache un effet de saisonnalité, note Rodrigue Maré. Une caractéristique liée à la période de collecte des données ; intervenue en pré-récolte, entre octobre et novembre 2024.
Les chiffres de l’emploi en milieu rural sont assez élevés également (74 %), dans la mesure où de nombreux travailleurs agricoles ont été recensés comme "en emploi" pendant la période de collecte des données. Si le taux national de chômage de 3,5 % est bas, il monte en flèche dans les grandes villes avec notamment 10 % à Ouagadougou, 9 % à Bobo-Dioulasso, et 7 % dans les autres centres urbains, contre seulement 1,4 % en milieu rural.

Ce déséquilibre entre zone urbaine et compagne reflète le faible nombre d’opportunités formelles d’emploi en ville et l’occupation de la main-d’œuvre par des activités agricoles saisonnières en milieu rural.
9 travailleurs sur 10 sans couverture médicale
Suivant le critère de l’âge, les différentes enquêtes démontrent que le chômage touche davantage les jeunes de 16 à35 ans à hauteur de 5,4 % contre 1,4 % pour les adultes, avec une surreprésentation des femmes dans toutes les catégories. À Ouagadougou, 12,6 % des femmes en âge de travailler sont au chômage, contre 7,6 % chez les hommes.
Le rapport souligne aussi que 13,8 % des jeunes de 15 à 24 ans sont dans une situation dite NEET, c’est-à-dire Ni dans le système éducatif, ni en emploi, ni en formation.
Avec un taux de 61,1 %, le travail pour compte propre constitue la forme d’emploi la plus répandue ; il est suivi par le travail familial non rémunéré qui enregistre un taux de22 %. Les employés salariés représentent seulement 12,7 % des actifs, et les employeurs, une infime minorité (4,2 %).
Les femmes sont particulièrement surreprésentées dans le travail familial, avec un taux de 30,3 % contre 13,7 % pour les hommes, ce qui souligne leur vulnérabilité économique et leur faible accès à des emplois stables. Si la hausse du taux d’emploi est indéniable, la qualité de l’emploi reste préoccupante. Seulement 6,7 % des travailleurs exercent dans le secteur formel, et 9 sur 10 ne bénéficient d’aucune couverture médicale.
L’enquête révèle toutefois une tendance à la pluriactivité : 33,1 % des travailleurs cumulent plusieurs activités.
Des données collectées suivant les standards internationaux
Interpellés sur le contraste qui pourrait apparaître entre les données de l’emploi de l’enquête et les perceptions des populations qui seront plus enclines à croire à des chiffres beaucoup plus bas, les responsables de l’INSD ont apporté des précisions.
Selon le directeur général adjoint de l’INSD, Bernard Béré, les recherches ont été menées selon les standards du Bureau international du travail (BIT), internationalement reconnus et ratifiés par le Burkina Faso.

A ce titre, est considéré comme étant en chômage, « la personne en âge de travailler qui était sans emploi au cours des sept derniers jours ou de la semaine de référence, qui a fait des démarches pour chercher un emploi en échange d’une rémunération ou d’un profit au cours des 30 derniers jours ou du mois de référence et qui se déclare disponible sur une période de deux semaines pour occuper un emploi ou mener une activité rémunératrice », précise l’INSD.
Suivant ces critères, par exemple, dès lors qu’elle a exercé une activité rémunérée, ne serait-ce qu’une heure, durant la semaine de référence, une personne est considérée comme étant en emploi. Pour les statisticiens, une activité effectivement rémunérée remplit les critères de l’emploi.
La question pourrait se poser davantage sur l’analyse de ces données, et en l’espèce sur la précarité du marché du travail, comme l’a souligné Rodrigue Maré.
Le DGA de l'INSD qui a représenté le Secrétaire général du ministère de l’Économie, Vieux Rachid Soulama, a rappelé que la création d’emplois demeure une priorité nationale. Il a salué l’effort de production statistique dans un contexte sécuritaire tendu, et a encouragé les acteurs à mieux s’approprier les concepts et indicateurs du marché du travail qui devraient servir à guider l’action publique.
L’ENES1 s’inscrit dans la volonté du gouvernement de suivre de manière régulière la dynamique du marché du travail en offrant une photographie du marché du travail, pour une meilleure prise en compte dans les politiques publiques.
Mouni N’GOLO