Les nouvelles mesures fiscales de la Loi de finances, exercice 2025, leurs implications, les conditions de réussite de leur mise en œuvre… sont des interrogations qui se posent naturellement à l’entame de cette nouvelle année fiscale. Pour répondre à ces questions et bien d’autres en lien avec la fiscalité au Burkina Faso, C’Finance, média en ligne panafricain spécialisé dans le traitement de l’information financière, s’est entretenu avec le juriste spécialisé en droit des affaires, expert sénior en fiscalité et développement des entreprises, Sié Robert Hien. Il est par ailleurs contributeur à la rédaction d’ouvrages sur la règlementation fiscale en particulier et le droit des affaires au Burkina Faso en général. Dans cette interview, Monsieur Hien aborde également la question de la pression fiscale, de la culture fiscale au Burkina Faso, ainsi que les défis à relever pour bâtir un civisme fiscal solide à travers l’adhésion de tous au principe de la solidarité fiscale.
C’Finance (C.F) : La Loi de finances initiale, exercice 2025, adoptée par l’ALT, le 23 décembre 2024, a-t-elle introduit de nouveaux impôts ou taxes ?
Sié Robert Hien (S.R.H) : Non, cette Loi de finances n’a pas introduit de nouveaux impôts ou taxes.
Elle a par contre, à titre très significatif, élargi le champ d’application de la TVA en ce que dorénavant, les ventes et prestations effectuées sur internet, en l’occurrence à travers les plateformes de commerce électronique, sont soumises à la TVA.
CF : D’autres impôts ou taxes ont-ils par ailleurs été supprimés?
S.R.H : Cette Loi de finances n’a pas supprimé d’impôt ou taxe mais a plutôt institué des mesures d’allègement de certaines impositions, dont entre autres :
- l’exonération de prélèvements à la source sur la vente du pain de consommation courante par les boulangeries. De fait cette mesure vient conforter règlementairement la pratique en ce sens que les boulangers ne soumettaient de fait difficilement leurs ventes aux prélèvements.
- L’exonération de TVA sur la viande congelée produite localement : la production locale de viande congelée est ainsi encouragée.
- L’exonération de l’essence d’aviation de TVA et la réduction du taux de TVA (10 % au lieu de 18 %) sur le transport aérien national (vols nationaux) : cette mesure vise à réduire le coût du billet d’avion de sorte à rendre plus accessible le transport par vol aérien aux populations.
- L’exonération du ciment produit au Burkina et exporté de la taxe sur le ciment : l’objectif est de rendre plus compétitif le ciment burkinabè sur le marché extérieur.
CF: Quelles sont les principales innovations fiscales de cette Loi de finances initiale, exercice 2025 ?
S. R. H. : A mon sens, l’innovation majeure est la soumission à la TVA des ventes et prestations effectuées par internet.
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CF : Et quelles sont les implications concrètes de cette innovation ?
S. R. H. : Du point de vue de l’équité, cette mesure établira à tout le moins une concurrence équitable entre les acteurs du eCommerce (commerce en ligne) et les entreprises classiques.
Vis-à-vis du trésor public, la TVA sur les ventes et prestations effectuées en ligne va permettre d’augmenter les recettes fiscales.
Du point de vue technique, la mise en œuvre effective de la mesure va nécessiter une adaptation technologique qui permette l’immatriculation fiscale, les déclarations d’impôt et les paiements directement en ligne ; cela, compte tenu notamment du fait que les acteurs concernés sont généralement absents physiquement du territoire burkinabè et aussi du caractère immatériel des opérations réalisées.
CF. : Selon vous, quelles sont les conditions de succès de ces innovations fiscales ?
S. R. H. : Je pense que la première condition sera de relever le défi technologique. Il s’agit :
- d’adapter et moderniser la plateforme eSintax et l’administration même à la nature numérique ;
- d’identifier et tracer les opérations taxables ;
- et en tous cas de définir, au plan règlementaire, des modalités claires de mise en œuvre pratique et simplifiée de la mesure. Il est annoncé un arrêté à venir dans ce sens.
En tout état de cause, l’épreuve sur le terrain de l’application de la TVA sur le commerce en ligne va permettre de tirer les premières constations, et certainement d’améliorer la règlementation et les outils pour réussir cette fiscalité de la TVA sur les ventes et prestations électroniques.
Il y aura aussi lieu de collaborer ou de coopérer avec les administrations fiscales sous régionales, régionales et internationales, de sorte qu’aucun acteur ne profite de quelconque défaillance juridique ou technique pour éviter le paiement de la TVA.
CF : L’article 6 de la Loi de finances, exercice 2025, dispose qu’« il est interdit à tout président d'institution ou ministre d’intervenir en faveur des organismes relevant de sa tutelle dans le but d'interrompre ou d'empêcher la mise en œuvre des procédures légales et réglementaires de recouvrement reconnues aux comptables publics ». Quel commentaire vous inspire cette disposition ?
S. R. H. : Je pense que cette disposition concerne la gouvernance, la transparence et l'équité dans la gestion des finances publiques.
Il me semble qu’il s’agit de renforcer l’indépendance et l’autonomie des comptables publics dans le cadre de leur rôle de mobilisation des ressources de l'État et dans la mise en œuvre des procédures de recouvrement.
Cette disposition vise certainement aussi à garantir aux comptables publics l’exercice de leurs fonctions sans pression ou interférence de la part d'autorités politiques ou administratives. Il semble en effet qu’il s’agit de prévenir les abus de pouvoir de la part de ministres ou présidents d'institutions qui pourraient intervenir pour protéger des entités sous leur tutelle contre leurs obligations fiscales ou financières.
En combinant ces considérations, il me semble que la disposition vise somme toute à lutter contre la corruption en limitant les possibilités de favoritisme ou « petits arrangements », qui sont souvent des obstacles au recouvrement des recettes publiques.
En tous cas, la disposition promeut l’équité en matière d’obligations fiscales entre tous les organismes, qu'ils soient publics ou privés.
CF : Parlant de l’innovation au niveau de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), notamment au niveau de l’article 31, concrètement, de quoi s’agit-il ?
S. R. H. : L’article 31 de la Loi de Finances qui modifie l’article 317 du Code général des impôts (CGI), réduit la TVA sur les transports aériens nationaux de 18% à 10%.
Comme déjà évoqué ci-dessus, je pense qu’il s’agit d’une mesure pour encourager le secteur du transport aérien local (national), en rendant plus accessible le prix du billet d’avion sur les vols à l’intérieur du Burkina Faso.
Concrètement cette mesure combinée à l’exonération de TVA sur l’essence d’aviation devrait aboutir à une baisse tangible du prix du billet des vols nationaux ; et cela devrait favoriser, de ce point de vue, l’activité des entreprises de transport aérien nationales.
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CF : L’imposition de la TVA sur les ventes de biens et les prestations de services rendues à travers les plateformes de commerce électronique (art. 35) constitue-t-elle une avancée ?
S. R. H. : C’est une avancée significative, qui était d’ailleurs attendue à mon avis, ne serait-ce que pour établir l’équité fiscale entre les entreprises classiques et celles qui pratiquent le commerce numérique ou électronique.
Elle est aussi une avancée en ce que ce secteur qui échappait à la fiscalité est dorénavant concerné et que cela participe à la régulation des activités commerciales en ligne. Pour ce qui est des implications, comme dit ci-dessus, il y a lieu pour l’administration fiscale de se moderniser et d’adapter en continue la plateforme eSintax au numérique ; et d’adapter aussi la règlementation afférente au fil des évolutions technologiques.
CF : Quelles en sont les implications ?
S. R. H. : Pour ce qui est des implications en matière de recettes fiscales, la TVA sur le commerce en ligne va permettre de collecter des recettes sur la part, je pense significative, de la consommation qui échappaient auparavant à la TVA.
CF : Une chose est de vouloir imposer les opérations de commerce en ligne, une autre est de disposer des moyens nécessaires pour rendre cette imposition effective et efficace. De votre point de vue, l’administration fiscale a-t-elle aujourd’hui les ressources nécessaires pour imposer le secteur du commerce en ligne ?
S. R. H. : Je pense que notre administration fiscale qui a enclenché sa modernisation à travers la mise en place de la plateforme eSintax depuis 2018 saura trouver et mettre en œuvre les outils nécessaires. Je pense aussi qu’elle saura s’adapter progressivement aux évolutions technologiques, étant donné la croissance continue du commerce électronique à l'échelle mondiale.
CF : Quelle analyse faites-vous du taux de pression fiscale au Burkina Faso ?
S. R. H. : Je pense que la perception de la pression fiscale est marquée par, je dirais, un certain mécontentement général tant du côté des entreprises que du côté des particuliers.
Et je crois qu’il n’est pas mensonger de dire que les impositions au titre de la contribution à l’effort de paix ont ajouté à la pression fiscale dès lors qu’elles ont peu ou prou réduit le pouvoir d’achat des particuliers notamment.
CF : Pensez-vous que ce taux est soutenable pour les entreprises et les particuliers ?
S. R. H. : S’agissant de la soutenabilité de la pression fiscale, je pense que les autorités peuvent agir dans le sens de rendre plus modérée la perception, en :
- reformant le système fiscal dans le sens de le simplifier au mieux, d’encourager le plus largement la participation à l’impôt ;
- promouvant l’équité fiscale par exemple par le recouvrement effectif de la contribution foncière ;
- améliorant la redistribution de l’impôt par des services publics disponibles et de qualité.
Dans un relent, dirait-on philosophique ou peut-être anthropologique, je dirais en paraphrasant Roland Rosaux, qu’il faudrait faire en sorte que la fiscalité tienne compte de la manière dont nous vivons et s’adapte à notre mode de vie.
CF : Comment analysez-vous la culture fiscale des Burkinabè ?
S. R. H. : Je pense que la caractéristique principale de la culture fiscale au Burkina Faso est la faible éducation fiscale. Et la conséquence directe de cet état de fait est la méfiance envers le système fiscal. L’impôt est perçu comme une contrainte de sorte qu’il n’y a pas une adhésion volontaire.
Et pour ne rien arranger, il manque, selon ma perception, la transparence dans la gestion des ressources collectées.
Je pense que l’un des plus importants défis de l’administration fiscale et de tous les acteurs est d’œuvrer à l’adhésion de tous au principe de la solidarité fiscale.
CF : Que peuvent faire les différents acteurs (pouvoirs publics, société civile) pour développer le civisme fiscal ?
S. R. H. : Les pouvoirs publics peuvent, pour ma part, simplifier la règlementation qui, à bien des égards, est quand même très complexe ; pourtant la complexité induit l’incompréhension de la matière fiscale par les cibles de l’impôt ; or qui ne comprend pas l’impôt l’évitera par tous les moyens, y compris illégaux.
Quant aux autres acteurs, notamment, la société civile, il peuvent mener des actions de sensibilisation et d’éducation à la culture fiscale, ainsi que sur le sens de la participation à la construction de la nation par la contribution de chacun en fonction de ses revenus.
Cela passe, à mon avis et comme susdit, par la simplification de la fiscalité pour susciter l’adhésion de tous et la redistribution correcte et transparente des ressources fiscales.
Interview réalisée par
Mouni N'GOLO et Ra-yangnewindé
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