L'ancien président américain Donald Trump est finalement sorti vainqueur de l'élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024 face à la vice-présidente Kamala Harris. Le précédent mandat du Républicain (2016-2020) plein de rebondissements n'a laissé personne indifférent et son retour suscite naturellement de légitimes interrogations. Dans cette interview, le Pr Ousseni Illy, enseignant de droit international à l'université Thomas-SANKARA, donne sa lecture par rapport au come-back de l'ancien président et surtout ce que cela peut signifier notamment pour l'Afrique et le Sahel. L'enseignant d'université ne pense pas que grand-chose va changer dans la « politique africaine » de Donald Trump, s'il en a une.
C’Finance (C.F) : Le 5 novembre dernier, les Américains ont élu l’ancien locataire de la Maison blanche, Donald Trump, comme 47e président des USA. Ce Comeback de Trump est-il surprenant ?
Pr Ousseni Illy (O.I) : Dans une certaine mesure oui. D’abord, il s’agit d’une première dans l’histoire des Etats-Unis qu’un président qui n’a pas réussi à se faire réélire pour son second mandat puisse le faire après une pause de quatre ans. Cela est déjà une prouesse en soi.
Ensuite, on a vu que le candidat Trump n’avait pas un boulevard devant lui. Il a dû faire face à divers obstacles judiciaires, médiatiques et politiques, tels que l’on ne vendait pas cher sa peau. Mais il y est arrivé, j’allais dire contre vents et marrées, et c’est tout à son honneur et de celui de son équipe.
C.F : Quels sont les facteurs politiques, économiques voire géostratégiques qui ont milité en faveur de la réélection de Donald Trump, 4 ans après son départ de la Maison Blanche ?
O.I : Le premier facteur politique est bien entendu la désorganisation du camp démocrate. Avec les hésitations du Président Biden et l’entrée en campagne tardive de Kamala Harris, Donald Trump a dû prendre une longueur d’avance.
Sur le plan économique, il y a l’inflation, la désindustrialisation, l’immigration et le chômage subséquent. Sur le plan géostratégique, son attitude isolationniste (« America First » ou « l’Amérique d’abord ») et plutôt pacifiste a également compté pour certains américains.
C.F : Après un précédent mandat de Donald Trump diversement apprécié, qu’est-ce qui va changer dans la politique intérieure et extérieure des USA au cours des 4 prochaines années ?
O.I : Je ne pense pas que grand-chose va changer. Sur la politique intérieure, il affiche la même attitude à l’égard de l’immigration par exemple, c’est-à-dire la restriction et l’expulsion des migrants illégaux.
Quant à la politique extérieure, c’est également le même slogan, à savoir « America first ». Par ailleurs, avec son « Make America Great Again » (MAGA), on risque d’assister encore à des guerres commerciales, notamment avec la Chine et probablement cette fois-ci l’Union européenne également. Cette politique vise d’après lui, à redonner à l’Amérique sa grandeur, et cela passe par la réindustrialisation ; d’où une politique de taxation plus sévère des produits importés.
Sur le plan politique, il reste isolationniste, donc je ne pense qu’il entraînera l’Amérique dans une guerre quelconque ; sauf si bien sûr il est contraint.
C.F : Trump arrive à la tête des USA à un moment où le monde connait des crises profondes, avec notamment les guerres russo-ukrainienne, Israël-Palestine... Quelle va être la position de Trump dans ces crises mondiales ?
O.I : Sur la guerre russo-ukrainienne, on l’a tous entendu, il a promis d’y mettre fin « en 24 heures ». Donc, on attend de voir. C’est sûr que c’est une manière de parler et c’est du « Trump » si on peut ainsi le dire ; mais je crois qu’il est au sérieux et il a surtout de sérieuses raisons de travailler à y mettre fin. On a envie de dire que cette guerre coûte autant aux Etats-Unis qu’à l’Ukraine ! Les Américains y ont injecté plus de 60 milliards de dollars depuis le début. C’est énorme et ce n’est pas compatible avec la philosophie du « America First » de Donald Trump. Ce serait tant mieux s’il arrivait à le faire car cette guerre n’a que trop duré et a de nombreuses conséquences négatives sur le monde.
Pour la guerre israélo-palestinienne, je ne pense pas que grand-chose va changer. Israël, c’est ce qui fait l’unanimité dans la politique extérieure américaine, et aucun président ne va lâcher ce pays. Donc, tout dépendra des Israéliens. S’ils décident de mettre fin à la guerre, Trump les soutiendra certainement. Dans le cas contraire, on continuera malheureusement d’assister à ces scènes de tueries et de destruction.
C.F : A son premier mandat, l’Afrique n’était pas la priorité de Trump ; on se rappelle encore son bout de phrase « pays de merde », parlant des pays africains ! Avec ce nouveau mandat, le regard de Donald Trump sur le continent africain va-t-il changer ? Qu’est-ce l’Afrique peut attendre des USA sous la gouvernance de Trump ?
O.I : Je ne pense pas que grand-chose va changer dans sa « politique africaine », si elle a déjà existé. Ce qui intéresse Trump, c’est la menace à l’économie américaine et sur ce terrain, l’Afrique n’est pas une crainte pour lui. Mais, en droite ligne de son « America First », il n’est pas exclu des représailles commerciales et la réduction des aides envers l’Afrique. C’est déjà arrivé durant son premier mandat, lorsque le Rwanda avait décidé d’interdire l’importation de friperie américaine pour protéger son industrie de textile naissante ; Trump avait réagi immédiatement en excluant le Rwanda de l’AGOA.
Pour lui, ce sont les intérêts américains d’abord. Il n'y a pas de « philanthropie ». Néanmoins, ce qui est intéressant, comme il s’agit d’un isolationniste, il ne s’immiscera certainement pas dans les affaires intérieures d’un quelconque pays africain ; et c’est ce que les Africains demandent d’ailleurs aujourd’hui : qu’on les laisse conduire librement leurs affaires.
C.F : Vu la conjoncture économique chinoise qui a notamment poussé Pékin à ne plus parler d’annulation de la dette de l’Afrique mais plutôt d’un rééchelonnement, les USA peuvent-ils être une alternative pour le continent pour des partenariats stratégiques ?
O.I : Je ne le pense pas ; en tout cas, pas sous Trump. Comme je l’ai dit, pour lui, c’est l’Amérique d’abord. Donc, il ne faut s’attendre à un quelconque appui pour l’Afrique, surtout que les Etats-Unis eux aussi connaissent des difficultés économiques. Cela ne veut pas dire que les Américains couperont toute aide à l’Afrique ; mais il ne faut s’attendre à ce qu’ils comblent le vide éventuel qui serait laissé par la Chine.
C.F : Le contexte ouest-africain a beaucoup changé depuis le dernier mandat de Trump : aucun des pays membres de l’AES ne fait partie encore de l’AGOA, le départ de l’armée américaine est demandé dans certains pays. Sous le magistère de Trump, quelle pourrait être la politique extérieure des USA envers les pays du Sahel ?
O.I : Je pense que la dynamique de désengagement va se poursuivre. Néanmoins, avec les enjeux que représente le Sahel et pour ne pas laisser totalement le terrain aux Russes, Chinois et autres puissances émergentes, il est fort probable que les Américains, même sous une présidence Trump, tentent une « reconquête » du Sahel. Cela pourrait les amener à tendre la main aux régimes en place. Mais on verra comment les choses vont évoluer et quelle forme cela peut prendre concrètement.
C.F : Donald Trump est porté à la tête de la première puissance mondiale au moment où la carte géopolitique et géostratégique se redessine, avec à la clé une certaine remise en cause de la suprématie occidentale voire américaine, par d’autres acteurs de la scène internationale comme la Russie, la Chine, les BRICS… Le nouveau-ancien président américain va-t-il tenter de rebattre les cartes, dans le sens de la réaffirmation de la puissance américaine ?
O.I : Parmi les objectifs de Trump, figure en bonne place la restauration de la grandeur américaine. Donc, il faut s’attendre à une exacerbation de la concurrence et des rivalités avec les BRICS, notamment sur le plan économique. Il n’est pas exclu qu’il utilise certains instruments de l’hégémonie actuelle de l’Amérique pour essayer de contre-carrer la montée en puissance de certains pays des BRICS. Je pense par exemple au dollar ou à certaines technologies critiques. Il l’a fait lors de son premier mandat contre l’Iran (dollar et autres sanctions) et la Chine (interdiction de l’exportation de semi-conducteurs américains vers ce pays, de l’utilisation du système d’exploitation de Google par Huawei, etc.). Il est fort probable que cela se reproduise et touche d’autres pays (Brésil, Turquie, etc.).
Interview réalisée par
Mouni N’GOLO
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