Ouverte le 11 novembre 2024, à Bakou, en République d’Azerbaïdjan, la COP29 va refermer ses portes dans quelques heures. En attendant les grandes conclusions, votre média en ligne spécialisé dans le traitement de l’information financière, C’Finance, a voulu savoir les attentes et les espoirs des pays africains à l’issue de cette conférence mondiale dédiée au climat. Pour ce faire, il a interviewé le Chargé de plaidoyer pour Oxfam au Burkina Faso, Moumouni Compaoré, par ailleurs représentant de Oxfam à la COP29 en tant que porte-parole, portant les voix des communautés vulnérables face aux impacts du changement climatique. Stagnation inquiétante des négociations, frustration croissante parmi les délégués, tensions politiques avec le boycott de la France en réponse aux critiques de l’Azerbaïdjan, position du Groupe Africain des Négociateurs, les blocages sur les discussions sur les pertes et préjudices, etc., sans langue de bois, Mr Compaoré est revenu sur l’ambiance qui a prévalu au cours de la première semaine de négociations de la COP29.
C’Finance (C.F) : La 29e Conférence des parties (COP29) à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) bat son plein depuis le 11 novembre 2024, à Bakou, en République d’Azerbaïdjan, et ce jusqu'au 22 novembre prochain. Quelle est l’ambiance qui prévaut à ce 29e rendez-vous mondial sur le climat ?
Moumouni Compaoré (M.C) : L’ambiance de la première semaine de la COP29 à Bakou a été marquée par une stagnation inquiétante des négociations, avec une frustration croissante parmi les délégués. Bien que la conférence ait débuté sur une note prometteuse avec l’adoption des règles pour un nouveau marché du carbone sous l’égide de l’ONU, plus de 100 sujets essentiels restent en suspens. Ces sujets sont paralysés par des désaccords profonds, principalement autour du financement climatique et de l’objectif collectif quantifié, des questions cruciales pour le succès de la conférence.
Le Secrétaire exécutif de l’ONU pour le climat, Simon Stiell, lors de la séance plénière d’ouverture de la deuxième semaine, a exprimé son mécontentement face à cette situation, appelant les délégués à dépasser les blocages tactiques et à se concentrer sur des solutions concrètes. Il a dénoncé des comportements dilatoires et un manque de progrès, soulignant l’urgence d’avancer sur des engagements climatiques plus ambitieux.
Des tensions politiques ont également affecté le climat des négociations, notamment avec le boycott de la France en réponse aux critiques de l’Azerbaïdjan, et des divergences sur les engagements climatiques nationaux ont compliqué les discussions. Toutefois, malgré ces défis, il demeure une volonté de parvenir à un compromis. Pour la semaine 2, deux ministres ont été désignés pour mener des consultations avec les parties, les groupes et les chefs de délégations, dans l’espoir de surmonter les divergences et de relancer les négociations.
C.F : Quelles sont les attentes de l’Afrique (Etats & Société civile) à cette 29e COP où l’objectif principal est de parvenir à un accord ambitieux pour un financement renforcé et durable à travers la définition d’un nouvel objectif de financement climatique (NCQG) ?
M.C : À la COP29, les attentes de l’Afrique, tant des États que de la société civile, sont claires et ambitieuses. En ce qui concerne le New Collective Quantified Goal (NCQG), le Groupe Africain des Négociateurs (AGN) porte plusieurs demandes essentielles.
Tout d'abord, l'Afrique plaide pour un objectif de financement climatique annuel d'au moins 1,3 trillion de dollars, avec la moitié de ce financement sous forme de subventions et de financements concessionnels. Ce montant est crucial pour répondre aux besoins climatiques des pays en développement, en particulier ceux d'Afrique, qui sont les plus vulnérables aux impacts du changement climatique.
L'adaptation est également au cœur des priorités de l'Afrique. L'AGN insiste sur le fait que l'adaptation n'est pas une option mais une nécessité absolue, étant donné les coûts croissants des impacts climatiques sur le continent. L'Afrique attend des financements prévisibles, accessibles et suffisants pour répondre aux priorités définies par ses gouvernements.
Par ailleurs, la question de la justice climatique est primordiale. La société civile exige que les accords reflètent les vulnérabilités spécifiques de ses pays et soutiennent une transition juste, qui permette aux communautés de s'adapter tout en développant des solutions résilientes et durables.
L'Afrique réaffirme également l'importance du multilatéralisme, soulignant la nécessité de renforcer les institutions multilatérales, comme la CCNUCC, pour garantir des négociations transparentes et inclusives. Une gouvernance mondiale équitable, tenant compte des spécificités nationales des pays du Sud, est essentielle pour des résultats effectifs.
Enfin, toutes les décisions doivent être pleinement alignées avec l'Accord de Paris, en particulier l'objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, et inclure des actions ambitieuses pour renforcer l'adaptation dans les régions les plus vulnérables.
C.F : Quel est le message que le Burkina Faso porte à cette COP ?
M.C : Le Burkina Faso, en tant que membre du Groupe Africain des négociateurs, adopte pleinement la position du groupe, qui met l'accent sur l’adaptation au changement climatique et le financement de solutions concrètes pour les pays les plus vulnérables.
Le ministre de l'Environnement, de l'Eau et de l'Assainissement, présent à Bakou, prononcera aujourd’hui, le 19 novembre 2024, la déclaration officielle du Burkina Faso à la COP29. Nous attendons avec intérêt le contenu de cette déclaration, mais il est clair que le Burkina Faso continuera de porter haut et fort la voix des pays africains, en insistant sur la justice climatique et sur les actions urgentes nécessaires pour soutenir les populations face aux impacts dévastateurs du changement climatique.
La société civile exige que les accords reflètent les vulnérabilités spécifiques de ses pays et soutiennent une transition juste, qui permette aux communautés de s'adapter tout en développant des solutions résilientes et durables.
C.F : La question des pertes et dommages, chère aux pays les moins avancés, a toujours cristallisé les débats, surtout lors des dernières COP. Qu’en est-il cette année ?
M.C : Les discussions sur les pertes et préjudices à la COP29 ont été marquées par des blocages importants, en grande partie liés aux désaccords sur le financement climatique. Ces tensions ont paralysé les négociations sur des sujets clés, dont le "nouvel objectif collectif quantifié" (NCQG), laissant plusieurs points critiques non tranchés malgré une réduction du texte de négociation.
Le Mécanisme international de Varsovie (MIV) et le Réseau de Santiago, qui jouent un rôle central sur ce thème, ont toutefois présenté des rapports annuels largement salués pour leur qualité et leurs avancées techniques, notamment la désignation d’une nouvelle directrice et la mise en place des organes nécessaires.
Cependant, des défis demeurent, tels que la localisation définitive du secrétariat, initialement prévue à Genève lors de la COP28, et les discussions sur le financement, le renforcement des capacités et la communication du réseau.
C.F : La mobilisation des financements conséquents pour l’adaptation est toujours portée par l’Afrique. Et certaines voies appellent à un financement important de l’agroécologie, considérée comme un meilleur moyen d’adaptation, mais aussi d’atténuation. Ce discours est-il porté et audible à Bakou ?
M.C : À Bakou, la mobilisation pour le financement de l'adaptation climatique reste un sujet majeur, et l'Afrique, avec son engagement ferme, porte cette priorité de manière forte. Le groupe africain (AGN) souligne l'importance de l'adaptation, un impératif pour un continent déjà frappé de manière disproportionnée par les impacts du changement climatique, malgré sa faible contribution aux émissions mondiales. L'AGN met en avant la nécessité de financer l'adaptation de manière substantielle, avec l'objectif ambitieux de quadrupler les fonds par rapport à 2019 et de privilégier les financements concessionnels et les subventions.
Concernant l'agroécologie, qui est effectivement mise en avant comme une approche d'adaptation mais aussi d'atténuation, le discours existe et il se fait entendre. L'agroécologie offre des solutions prometteuses, en lien avec des pratiques agricoles durables qui améliorent la résilience des communautés face aux chocs climatiques.
Cependant, la question qui persiste à Bakou, et qui doit guider nos discussions, reste : quel modèle agricole global devons-nous adopter pour répondre de manière concrète aux enjeux climatiques ? Le soutien à l'agroécologie doit être intégré dans une vision plus large qui inclut la justice climatique, le financement adéquat et l'intégration des pratiques agricoles dans les stratégies nationales de développement.
C.F : Après une première semaine de négociations, y a-t-il de l’espoir que cette COP soit celle des solutions concrètes, surtout que les promesses de financement des pays développés au profit des pays les moins avancés n’ont pas toujours été respectées ?
M.C : À titre personnel, je dirais que cette COP 29 reflète les profonds blocages qui ont longtemps freiné les négociations climatiques, certains n’hésitant pas à la qualifier de "pire première semaine de l’histoire des COP".
Cela dit, je garde espoir que des solutions concrètes puissent émerger. Par exemple, en tant que représentant d’Oxfam, je suis témoin de la persistance et de la détermination de la société civile, malgré sa marginalisation évidente ici à Bakou. Nous avons d’ailleurs publié, le 14 novembre, un rapport intitulé "NI SUFFISANT, NI ADÉQUAT", à l’occasion de la journée de la finance climatique. Ce rapport vise à mettre en lumière les promesses non tenues, notamment les 100 milliards de dollars annuels promis, et à rappeler que la qualité du financement est tout aussi essentielle que sa quantité.
Par ailleurs, l’arrivée prochaine des ministres et la tenue simultanée du G20 au Brésil pourraient fournir une impulsion politique décisive. Mais pour Oxfam, et pour moi en particulier, le message reste clair : un financement climatique inaccessible pour les communautés locales ne peut jamais être qualifié de succès. Il est crucial que les discussions aboutissent à des engagements tangibles qui répondent aux besoins des populations les plus vulnérables.
« l'Afrique plaide pour un objectif de financement climatique annuel d'au moins 1,3 trillion de dollars »
C.F : Certaines voies appellent à repenser les mécanismes et instruments internationaux de financements de l’action climat. Cette problématique est-elle d’actualité et à l’ordre du jour de la présente conférence mondiale sur le climat ?
M.C : En 2023, lors du Sommet africain sur le climat, les chefs d’État africains avaient clairement exprimé, à travers la Déclaration de Nairobi, la nécessité de réformer les mécanismes de financement climatique pour les adapter aux réalités et aux besoins spécifiques des pays africains. Aujourd’hui, je constate que ce message reste malheureusement d’actualité. Chez Oxfam, nous avons également pris position sur cette question dans notre rapport publié le 14 novembre, où nous critiquons sévèrement les mécanismes existants. Ces derniers, au lieu de soutenir véritablement les pays vulnérables, favorisent souvent les prêts au détriment des subventions, ce qui aggrave l’endettement des pays en développement. En outre, leur complexité et leur inaccessibilité empêchent les communautés et les États les plus touchés de réellement en bénéficier.
Mais un autre sujet de divergence majeur domine les discussions ici à la COP 29 : la source des financements climatiques. Les positions sont claires et souvent opposées. Certains pays plaident pour inclure le financement privé et les crédits carbones comme solutions, mais d’autres, et je partage cette préoccupation, pointent les risques de privatisation de la réponse climatique mondiale. Pour moi, il est urgent de garantir que les financements climatiques soient publics, accessibles et conçus pour répondre aux besoins réels des communautés les plus touchées.
Interview réalisée par
La Rédaction
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