Le fondateur de l’agence de notation financière Bloomfield Investment Corporation, Stanislas Zézé, était présent à Ouagadougou en fin octobre 2024 pour animer une conférence sur le thème : « Entreprendre et réussir ». En marge de ce cette activité, "l’homme aux chaussettes rouges" a accordé une interview à votre média en ligne spécialisé en information financière, C’Finance.news. Dans cet entretien, Mr Zézé revient sur les raisons qui l’ont poussé à quitter des postes prestigieux dans des institutions internationales comme la Banque mondiale pour revenir investir en Afrique, créer la première agence de notation financière d’Afrique francophone. Très panafricaniste, il y réaffirme également sa foi en son continent et appelle la jeunesse africaine à avoir un état d’esprit de gagneur, condition sine qua none pour réussir dans l’entrepreneuriat.
C’Finance (CF) : Vous avez quitté des postes prestigieux au sein d’organisations internationales telles que la Banque mondiale ou la BAD, pour venir créer une entreprise dans un domaine totalement nouveau en Afrique et pour laquelle on vous prédisait l’échec. Quelles ont été vos motivations ?
Stanislas Zézé (S.Z.) : Déjà, je ne considère pas que travailler à la Banque mondiale est plus prestigieux que d’être patron d’une agence de notation financière en Afrique (rire). C’est vrai qu’on a tendance plutôt, en tant qu’Africain, à penser que quitter la Banque mondiale et venir créer sa propre entreprise dans son pays est moins valeureux, c’est dommage ! Même le président de la Banque mondiale est un employé. Pour moi, ceux qui créent des entreprises ont plus de valeur, définitivement ; nous sommes peut-être dans des environnements où les gens ne respectent pas plus ceux-là, mais ceux qui créent des entreprises sont ceux qui créent de la richesse, de la valeur.
Alors, pourquoi j’ai créé cette entreprise, Bloomfield ? C’était pour donner à l’Afrique un outil qui lui permettrait d’évaluer le risque dans son contexte. Je pensais que cela était extrêmement important. Quand je regardais les évaluations faites sur l’Afrique par les agences de notation internationales, je trouvais qu’il y avait un biais d’approche, un biais dans l’analyse qui est faite. L’analyse n’était pas contextuelle mais plutôt universelle ; alors que nous avons des environnements différents dans chaque coin du monde. Même si on utilise des principes et standards d'évaluation universels, il est extrêmement important dans l'explication, dans les résultats de l'analyse, de les contextualiser pour qu’il y ait un sens, pour que les gens comprennent ce que ce risque veut dire dans cet environnement ou dans un autre environnement. Contribuer à doter l’Afrique de ses propres outils de développement était ma principale motivation.
CF : Il y avait donc une dimension panafricaine dans votre volonté de créer cette entreprise ?
S.Z. : Absolument ! Aujourd’hui, dix-sept ans après, force est de constater que les africains eux-mêmes commencent à se demander pourquoi les agences internationales de notation financière les évaluent tel qu’elles le font. Les Africains commencent donc à comprendre qu'en réalité, il est forcément beaucoup plus intéressant pour eux d'avoir un outil qui les évalue dans leurs contextes et qui met en valeur ce qu'ils représentent réellement. C'est exactement ce que nous faisons.
Et nous sommes ravis de savoir qu'aujourd'hui, les pays africains, les institutions du continent comme l’Union africaine ou la BAD (Banque africaine de développement) commencent à se plaindre de l'approche méthodologique de ces agences internationales de notation financière vis-à-vis de la notation des pays africains. Cela met donc en valeur ce que nous, nous avions dit il y a dix-sept ans, en créant une agence africaine de notation financière. Et aujourd’hui, les gens se rendent compte que nous avions bien eu raison de créer cette agence !
CF : Mais comment réagissez-vous alors au fait que des entreprises et des Etats africains continuent d’aller se faire noter par des agences étrangères au détriment des agences de notation africaines ?
S.Z. : Je me pose toujours la même question ! Je pense que beaucoup sont encore dans le complexe du blanc. Et l ne faut pas avoir peur vraiment de le dire ! Mais ce sont des choses qui se corrigent. Il y a dix-sept ans, quand nous créions Bloomfield, tout le monde se moquait de nous ! Mais aujourd’hui, nous notons des pays africains, des grosses entreprises, de grosses institutions financières, en Afrique comme en Europe et en Asie. Progressivement, quand vous faites vos preuves, les gens finissent par comprendre qu’en réalité ils n’ont pas besoin d’aller à Paris ou à Londres pour avoir un travail qui est fait correctement.
Je crois que c'est juste une question de pédagogie. Et cette pédagogie, nous avons commencé à la faire depuis dix-sept ans et continuons à la faire. Mais, nous constatons qu'il y a une vraie évolution, une vraie prise de conscience de l'importance de faire plus confiance aux Africains, qu’à d'autres qui connaissent moins l'environnement de notre continent.
Ceci dit, il est extrêmement important de comprendre que ces entreprises africaines qui veulent qu'on leur fasse confiance doivent être des entreprises sérieuses, qui travaillent véritablement, qui sont capables justement de montrer que l'analyse faite ici est nettement plus appropriée qu'une autre analyse qui est imbibée de biais et d’idées préconçues et de préjugés.
CF : Suivant votre approche pédagogique, quel est l’intérêt qu’a une entreprise ou un Etat de se faire noter par une agence africaine plutôt que par une agence internationale.
S.Z. : Un Etat ou une entreprise africaine qui emprunte dans sa propre monnaie, rembourse dans sa propre monnaie. Quelle est donc l’intérêt d'aller se faire noter en dollars ? Cela n’a pas de sens. Il est forcément beaucoup plus approprié qu'une entreprise locale ou régionale de se faire noter par une agence panafricaine ou régionale, qui la note dans la monnaie locale.
Pour moi, c'est d'une évidence très claire. Et je pense qu'après 17ans, nous avons fait nos preuves, et tout le monde a vu l'impact de la notation en monnaie locale sur le marché financier de l’UEMOA, sur le marché financier de la CEMAC et sur d'autres marchés financiers africains.
CF : Vous êtes présent au Burkina Faso dans le cadre d’une conférence sur l’entreprenariat que vous animerez au profit de jeunes Burkinabè. Quel sera le principal message que vous allez leur adresser ?
S.Z. : Alors, c'est déjà leur expliquer quel est le parcours de l'entrepreneur africain et quelles sont les codes de valeur de l'entrepreneur africain, quels sont les différents challenges que peut rencontrer l'entrepreneur africain dans son contexte et dans son environnement et comment les résoudre ces problèmes, les contourner pour arriver au succès de son projet. C'est vraiment cela la logique.
Nous voulons changer l'état d'esprit des jeunes africains pour qu'ils soient dans le bon état d'esprit, celui de gagneur, quand ils entreprennent ; ils doivent être dans une logique de réussir tout ce qu'ils entreprennent.
Interview réalisée par
Mouni N’GOLO
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