Nabi Issa Coulibaly est un professionnel de la banque et de la finance, consultant-formateur, Président du Cabinet Capital plus Zain/Finances, spécialisé dans l'accompagnement des entreprises et des individus en quête l'excellence, à travers une offre diversifiée de services, particulièrement dans trois domaines, à savoir les affaires, le la finance, la vie. Son cabinet travaille sur ces trois axes de façon intégrée, pour accompagner les chefs d'entreprise, créer l'épanouissement pour les collaborateurs, tirer l'économie dans sa branche financière particulièrement. Dans cette première partie de l’interview qu’il a accordée à C’Finance, votre média spécialisé dans le traitement de l’information financière, le 13 septembre 2025, à Ouagadougou, avec l’œil de l’expert, il livre une analyse des indicateurs de performances du secteur bancaire de la zone UEMOA, surtout du secteur burkinabè. M. Coulibaly y aborde également le rôle des banques dans l’économie nationale et se prononce sur le part du financement bancaire dédié aux PME.
C’Finance (C.F) : La BCEAO a rendu public, en juillet dernier, son rapport 2024 sur les conditions de banque dans l’UEMOA. Il ressort que le secteur bancaire de l’Union a réalisé, entre autres, 21 558,2 milliards F CFA de crédits mis en place, en hausse de 8,4 %, des dépôts de 10 695,8 milliards F CFA en progression de 11,6 %. Quelle appréciation faites-vous de ces résultats des banques de l’Union au cours de 2024 ?
Nabi Issa Coulibaly (N.I.C) : Il faut d'abord féliciter les banques de la zone qui, malgré la situation relativement difficile dans certains pays, ont contribué au financement des entreprises et de l'Etat. Il faut signaler que dans cette période, il y a eu de nouvelles banques qui sont entrées dans le marché et qui se sont certainement créées de la place, sont allées rapidement à la conquête du marché, en ouvrant un petit peu les vannes pour absorber un tant soit peu la demande du marché. Cela a donc contribué à l'augmentation du volume des financements.
Toutefois, il est important de souligner que la variation du volume des crédits mis en place dans l’UEMOA en 2024 reste inférieur à celle du volume de 2022, année au cours de laquelle le secteur a enregistré une hausse de 9,9%, avec 1 758 milliards FCFA. L’augmentation des financements n’est donc pas aussi extraordinaire. Et cela appelle d'ailleurs les acteurs du secteur à se réorganiser. Nous observons aussi que ce volume de financement tire sa source des pays qui connaissent des difficultés liées à l’insécurité ; le Sénégal, la Côte d'Ivoire n'ont pas significativement performé sur la période en termes de crédits mis en place. Cette augmentation du volume des crédits dans ces pays (en difficultés) est peut-être tirée par le secteur minier, mais aussi surtout par les besoins des États dans ces pays pour accélérer la croissance et réduire un tant soit peu la souffrance des populations dans les zones exposées.
C.F : Qu'est-ce qui expliquerait la baisse du volume de crédits de 2024 par rapport à 2022 ?
N.I.C : Nous n'avons pas suffisamment de détails, mais par observation, nous constatons que les pays qui habituellement tirent l'économie de la sous-région, à savoir la Côte d'Ivoire et la Sénégal, n’ont pas performés en termes de crédits sur la période. Si dans ces pays il y a certaines récessions, cela va se ressentir dans l’Union. Pour nous, c’est ce qui expliquerait la différence des volumes de crédits entre les deux périodes.
C.F : Et qu'est-ce qui expliquerait le fait que ce sont des pays à défis sécuritaires qui tirent le secteur, notamment sur cet indicateur de crédits mis en place ?
N.I.C : Il y a certainement le fait que ces pays ont engagé des réformes qui ont eu pour conséquence l'élaboration de projets structurants ayant été attribués à des entreprises privées qui, à leur tour, ont sollicité les banques qui ont fait appel à leurs maisons-mères, pour mobiliser les ressources, afin d’accompagner ces entreprises à honorer leurs engagements vis-à-vis de l'État. Il s’agit de la fourniture d'équipements, soit pour la sécurité ou pour le transport, comme le cas du Burkina Faso, et dans une moindre mesure, le secteur minier. La Commission bancaire a d’ailleurs indiqué que la part de l'équipement dans le volume des crédits a été significative. Il s’agit principalement des équipements au profit des Etats qui sont le premier pourvoyeur de ressources en termes de marché.
C.F : Revenons au cas spécifique de Burkina Faso. Malgré un contexte de défis sécuritaires, en 2024, le secteur bancaire du pays a mis en place 2 413,8 milliards F CFA de crédits en hausse 29,6%, et enregistré 1 136,6 milliards F CFA de dépôts à termes avec un taux de progression de 9,5%. Quelle analyse faites-vous de ces performances des banques burkinabè dans un tel contexte ?
N.I.C : C'est la première fois que nous observons un tel volume d'augmentation des crédits mis en place par le secteur bancaire au Burkina Faso. En observant davantage les chiffres de la période, nous constatons que cela est certainement lié au fait que les banques ont soutenu la dynamique de croissance du pays, en faisant l'effort d'accompagner certains opérateurs économiques qui ont bénéficié de gros contrats auprès de l'Etat pour les équipements militaires ou certains projets structurants. Cela est d'ailleurs à féliciter, car ce n'était pas toujours évident pour ces acteurs d'aller sur un volume aussi important, sur une période relativement courte. Ce sont beaucoup plus les marchés publics qui ont engendré ces besoins de financements, profitables aux banques, qui n'ont pas forcément créé ces opportunités ; mais beaucoup plus l'Etat, qui a confié ses projets à des entreprises locales, qui ont aussi recherché des financements sur le plan local. Cela entre aussi dans l'esprit du nationalisme économique, consistant à préférer confier certains marchés à des entreprises locales pour créer une dynamique économique.

En volume de dépôt, il y a eu également une augmentation, de la part des consommateurs, des épargnants, qui sont encore dans l'incertitude, qui, naturellement, les a poussés à ne pas dépenser, mais à stocker l'argent, à vouloir se protéger. C’est peut-être une vue d'esprit, mais cela aussi a contribué à augmenter l'épargne, car les citoyens préfèrent épargner que de dépenser, en se préoccupant de comment sera demain. Cela limite un peu la consommation et permet naturellement aux dépôts en banque de maintenir une tendance haussière.
C.F : Malgré, le contexte sécuritaire et humanitaire, le secteur bancaire burkinabè a maintenu sa position de troisième place financière de l'UEMOA, ce qui témoigne de sa capacité de résilience. Quels sont les leviers ou ressorts de cette résilience ?
N.I.C : Il faudrait rentrer un peu plus en profondeur pour décortiquer la géographie des financements. Nous nous rendons compte que c'est encore beaucoup plus des financements pour les équipements au profit de l'Etat, du secteur public et non forcément pour les petites et les moyennes entreprises ou d'autres secteurs d'activité. Même si nous voulons parler de résilience, c'est peut-être avec un peu de réserve, car il ne faudrait pas généraliser, étant donné que sur la période il y a beaucoup d'acteurs qui n'ont pas bénéficié des financements bancaires ; il y a aussi les banques qui sont méfiantes, elles n’ont pas assez de visibilité sur certains délais de paiement. C'est donc à prendre avec un peu de prudence. Nous risquons de dire que c'est une coïncidence. Attendons encore cette année pour mieux nous situer !
C.F : Selon vous, quelle est la place ou le rôle du secteur bancaire dans l’économie nationale burkinabè ?
N.I.C : Le rôle du secteur bancaire dans l’économie nationale est extraordinaire ! Imaginons un pays sans banques, sans financement bancaire, où c’est l'Etat qui essaie de tout financer avec ses moyens limités, ou ce sont des crédits informels entre individus ! Certains diront que nous pouvons imaginer un autre modèle économique sans les banques, mais nous avons du mal à imaginer cela ! Ce qui veut dire que la place que les banques occupent aujourd'hui dans l’économie est prépondérante, pas seulement dans la dimension économique, mais aussi dans la dimension sociale. Nous avons évoqué plus haut le volume des crédits qui ont été mobilisés sur le marché local. Ces financements bancaires créent l'économie, du transport, de la consommation, mais aussi de la fiscalité, avec un volume important d’impôts payés par ces banques. En termes d’impôts, cela fait un peu plus de 15 milliards F CFA payés au Burkina Faso. Dans une moindre mesure, il y a également leur impact en termes de RSE (ndlr : responsabilité sociétale d’entreprise), même si à présent les banques burkinabè ne sont pas suffisamment présentes sur ce créneau ; elles ont des activités encore ponctuelles, sporadiques, mais beaucoup n'ont pas fondamentalement un plan RSE établi, fonctionnel.
C’est aussi un secteur pourvoyeur d’emplois. Les banques de l’UEMOA emploient environ 38 500 personnes. Au Burkina Faso en 2023, l’effectif des employés dans les banques est estimé à 4100 personnes selon le rapport de la commission bancaire. A fin 2024, l’encours de crédits du secteur bancaire burkinabè faisait environ 4 664 milliards F CFA, soit pratiquement 1,5 fois le budget de l'État. Imaginez ce que cela génère comme activités dans notre pays, comment cela permet aux consommateurs de financer leurs besoins d'équipements, de mobilité, etc., c'est extraordinaire ! Nous pouvons aller plus loin au-delà du crédit, pour voir le rôle des banques dans nos relations commerciales avec l'extérieur, qui pour faire l'importation de marchandises pour la consommation, qui pour payer les bourses d’étude des enfants à l’extérieur, .... Les banques jouent donc ce rôle de tampon entre la consommation des besoins locaux et l'extérieur, via bien entendu la Banque centrale qui joue son rôle régalien, malgré les limites également à ce niveau. En conclusion, les banques occupent une place prépondérante et doivent jouer davantage leur rôle, parce qu’il y a encore une grande marge de manœuvre à leur disposition.
C.F : Les banques contribuent aussi à la mobilisation des financements pour l’Etat et les entreprises sur le marché financier….
N.I.C : Elles souscrivent aux projets de mobilisation de ressources de l'État. Grâce à l’épargne collectée, aux dépôts réalisés par les clients, les banques ont une part de placement sur les bons du trésor et les obligations. Sans que cela ne soit obligatoire pour elles, c'est un choix, une opportunité pour elles de faire ces placements. Sans les banques, l'État aurait du mal à mobiliser suffisamment de ressources sur les marchés financiers pour financer ses projets, à pouvoir s'équiper, parce que les entreprises qui ont des contrats avec l'État sont financées par les banques pour fournir les équipements, les infrastructures à l'État. Il est donc important de soutenir davantage l'activité bancaire, d’encourager les banques à faire leur business, de les protéger, qu'elles soient détenues par des locaux ou des étrangers. Ce qui importe ici, c'est l'activité qui se déroule sur le territoire national, que chaque banque apporte sa contribution.

Plus les banques réalisent du bénéfice, plus elles financent l'économie, plus l'État gagne indirectement à travers la mobilisation de ressources, le financement indirect des entreprises contractuelles, les recettes fiscales. Outre les impôts payés par les banques, les entreprises qui exécutent les marchés publics, grâce au financement bancaire, payent aussi des impôts, emploient des salariés, permettant encore à l'État, bien sûr, de collecter ses ressources sur le territoire national. Ces échangeurs, les voies de contournement, les bus de transport urbain, les programmes de désenclavement routier intérieur, sont réalisés avec l’accompagnement des banques.
Et enfin, c'est grâce aux banques que l'État fait la collecte des impôts sur le territoire national. Vous avez suivi l'actualité où l'État a récemment décidé de ne plus accepter les chèques ; c'est à travers les virements, les canaux bancaires que les paiements envers l’Etat vont désormais se faire, en plus du paiement en espèces. Aujourd'hui, quand nous parlons de télépaiement, de digitalisation, c'est aussi à travers les canaux des banques. Les banques ont besoin du soutien, des facilités de l’Etat.
C.F : Dans la zone UEMOA, en 2024, la part des crédits au profit des micros, petites et moyennes entreprises (MPME) est de 52%, contre 48% pour les grandes entreprises. Cela semble contraire au discours dominant dans l’opinion publique, qui est que les PME ont des difficultés pour accéder au financement bancaire, compte tenu d’un certain de conditions de crédits qui constitueraient des freins pour elles …
N.I.C : C'est tout le paradoxe de la réalité des faits. Beaucoup de gens, sans données chiffrées à l’appui, soutiennent que les banques ne financent pas les PME. Ce qui est présenté dans le rapport de la BCEAO est révélateur i ! Déjà 52%, c'est intéressant et représentatif, quand nous savons que les économies dans notre zone sont dominées par les très petites entreprises et ensuite les moyennes entreprises, à plus de 80%. C’est donc naturel que la configuration du financement bancaire soit ainsi. Maintenant, nous estimons que cela peut encore s'améliorer, au regard du fait que nos économies sont dominées par ces PME, qui souffrent de manque de financement, pas seulement à cause des banques, mais beaucoup plus de leurs propres faiblesses qu'elles doivent travailler à résorber et ne pas continuer à jeter l’opprobre sur les banques, qui jouent pleinement leur rôle.
Nous ne pensons pas qu'il y ait une banque qui refuse, par plaisir, de financer une PME. Tant que les PME vont présenter des projets intéressants, en conformité avec les exigences bancaires, les banques vont toujours les accompagner. Elles ne sont pas en manque de ressources jusqu’à ce point. Au-delà des PME financées par les banques, beaucoup de PME sont financées aussi par les institutions de microfinance. Si nous faisons la somme de tout cela, nous obtenons un taux de financement des PME plus élevé, qui pourrait atteindre 60 à 70% ; ce qui est conforme à la structure des économies de nos pays.
C.F : Autrement dit, selon vous, le secteur bancaire constitue un maillon important dans l'accompagnement des PME ?
N.I.C : Oui, c'est un maillon important, et il le fait bien. Seulement, toutes les PME ne peuvent pas être financées par les banques. Il faudrait que certaines PME le sachent et qu’elles se réorganisent pour identifier d'autres sources de financement, afin de bénéficier plus tard du canal de la banque ; parce qu’il y a aujourd'hui plusieurs canaux de financement qu'elles ne devraient pas se limiter, en se contentant des banques.
Interview réalisée par la
Rédaction de C’Finance
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