Nabi Issa Coulibaly est un professionnel de la banque et de la finance, consultant-formateur, Président du Cabinet Capital plus Zain/Finances, spécialisé dans l'accompagnement des entreprises et des individus en quête d'excellence, à travers une offre diversifiée de services, particulièrement dans trois domaines, à savoir les affaires, le la finance, la vie. Son cabinet travaille sur ces trois axes de façon intégrée, pour accompagner les chefs d'entreprise, créer l'épanouissement pour les collaborateurs, tirer l'économie dans sa branche financière particulièrement. Dans cette deuxième et dernière partie de l’interview accordée à C’Finance, votre média spécialisé dans le traitement de l’information financière, avec l’œil de l’expert, M. Coulibaly aborde la question du financement bancaire des femmes, du taux du crédit bancaire, la structure de l’offre de crédits, ainsi que les défis à relever pour permettre aux banques de contribuer davantage au financement de l’économie nationale.

 

C’Finance (C.F) : Un autre constat du rapport de la BCEAO est que dans la zone UEMOA, 18% des crédits bancaires aux personnes physiques sont allées aux femmes, contre 82% pour les hommes. Qu’est-ce qui explique ce faible accès des femmes aux crédits bancaires ?

Nabi Issa Coulibaly (N.I.C) : Certes, au cours des deux dernières années, le taux de crédits octroyés aux femmes n'a pas changé. Par contre, en termes de volume, il y a une augmentation ; souvent les taux ne donnent pas suffisamment d'informations. En 2024, le volume de financement octroyé aux femmes est supérieur au volume mis en place en 2023, soit 707,5 milliards F CFA en 2024 contre 655,8 milliards F CFA en 2023. Les banques voudraient même financer davantage femmes, si possible. A part les femmes salariées qui prennent des crédits, il y a très peu de femmes chefs d'entreprise qui vont vers les banques pour demander du financement. Sur le marché, au Burkina Faso et dans la région, il y a plusieurs banques qui ont lancé des programmes de financement uniquement dédiés aux femmes et qui n'arrivent pas à consommer le volume de crédits prévu à cet effet. C’est en même temps une invite à ces femmes chefs d'entreprise à aller vers les banques pour pouvoir bénéficier du financement avec des conditions beaucoup plus allégées. Cependant, au niveau des systèmes financiers décentralisés, les financements accordés aux femmes sont plus élevés que les financements accordés aux hommes, parce que beaucoup de femmes, de groupements féminins s’y sentent plus à l'aise, étant donné qu’elles sont dans un besoin de petits crédits. 

 

C.F : Un autre élément du rapport de la BCEAO, c'est la structure des financements dans la zone UEMOA, où les secteurs ayant le plus bénéficié des financements des banques en 2024 restent le commerce (30%), l’administration publique (14%), la fabrication (11%), les services (10%), la construction (9%). Pourquoi une telle structure de l’offre de crédits ? Est-ce les secteurs les plus demandeurs ou les plus solvables ?

N.I.C : Cette configuration reflète le modèle de notre économie, qui reste dominée majoritairement par les PME, qui interviennent beaucoup plus dans le commerce. Et ces PME n'ont pas suffisamment des projets convergeant vers des financements structurants, des investissements importants. Ce qui fait que naturellement, leurs crédits ont trait à des financements des fonds de roulement, d’acquisitions pour les marchés publics, qui font partie du commerce, plus ou moins. C'est normal qu'à la fin, nous ne sommes pas étonnés avec une telle structure de crédits. Ces dernières années, nous observons beaucoup de PME qui vont un peu plus dans la transformation, quelques nouvelles usines qui s'implantent. Certainement que dans les trois, cinq années à venir, la structure va changer. Pour le moment, c'est assez conforme à la structure de l'économie de base.

 

C.F : L’un des reproches fait au secteur bancaire de l’UEMOA, est lié aussi au taux d’intérêt appliqué aux crédits que certains jugent élevé, surtout quand on se réfère au taux directeur de la BCEAO qui est le taux auquel la Banque centrale prête aux banques commerciales. Est-ce une critique à tort ou à raison ?

N.I.C : Nous voudrions attirer l'attention de ceux qui affirment que les taux d'intérêt des banques sont élevés, et leur poser la question de savoir quel est le taux d'intérêt actuel et c’est en comparaison de quoi, ils soutiennent que le taux d’intérêt est élevé. S’ils y apportent des éléments de réponses à ces questionnements, nous pourrons discuter. Actuellement, le taux d'intérêt moyen dans la zone UEMOA, selon les rapports de la Banque centrale, est autour de 6,5% à 7,25%. Le taux directeur de la BCEAO est autour de 3,25%, 3,50%. Mais, il faut noter que les banques ne se refinancent pas seulement au niveau de la Banque centrale. Elles se financent entre elles, ce que nous appelons les prêts interbancaires, qui, sur l’exercice écoulé, en fonction de la durée, ont enregistré des taux variant entre 4% et 6%.

Le Président du Cabinet Capital plus Zain/Finances, Nabi Issa Coulibaly : « le premier concurrent des banques n'est pas une autre banque mais l'ignorance : l'ignorance de la population sur les produits bancaires de base, l'ignorance de la population qu'elle peut s’enrichir ».

 

Le client qui dispose d'un compte d'épargne dans une banque est rémunéré à un taux moyen de 3,50% ; ce qui veut dire que la banque dispose à peu près de 3,50% pour contenir le risque lié au financement, pour dégager une marge de fonctionnement, payer les salariés et autres charges, et se faire des bénéfices. Il faudrait même féliciter les banques, car au cours des dix dernières années, les taux débiteurs moyens ont connu une baisse entre 2014 et 2025 ; alors que le risque n'a pas véritablement changé au cours de la période, avec des crédits impayés, des salariés qui prennent des crédits et disparaissent, etc.

Cela veut dire que, théoriquement, nous devons nous attendre à une marge faible, réduite des banques, qui, quand même, par leur ingéniosité, développent d'autres produits et services pour créer des revenus. Nous voulons savoir c’est en comparaison de quoi, certains affirment que le taux d’intérêt du crédit est élevé ! Parce que, selon notre compréhension, avec 3,5% de taux de refinancement de la BCEAO, 3,5% de rémunération des comptes d’épargne, 5% de taux de prêts interbancaires, sans oublier les financements recherchés avec les banques de développement, nos banques ne peuvent être qu'à un taux de crédits autour de 7% ou un peu plus. Maintenant, le taux de notre zone ne peut pas être comparé à celui d’autres zones, telles que la CEMAC ou le Maghreb ; la structure des économies est complètement différente que nous ne pouvons pas faire cette comparaison.

 

C.F :  Malgré ses performances, le secteur bancaire burkinabè fait face à un certain nombre de défis. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces défis ?

N.I.C :  Le premier défi des banques est celui de l'éducation financière de la population, c’est-à-dire d'aider la population à sortir un peu de la pauvreté. Le défi du secteur bancaire n'est pas de faire la compétition entre banques, le défi n'est pas le crédit, le défi des banques c'est accélérer le niveau de culture financière, et même avant cela, accélérer l'esprit de prospérité pour que les gens aient de l'argent. Tant que la population n'a pas d'argent, même si elle est cultivée en finance, qu'est-ce qu'elle peut faire ? Rien ! Vous avez beau avoir la bonne foi pour épargner, savoir qu'épargner c'est bien, mais si vous n'avez que 25 000 F CFA, alors que vous ne pouvez pas dépenser moins de 25 000, qu'est-ce que vous allez épargner ?

Le premier concurrent des banques n'est pas une autre banque mais l'ignorance : l'ignorance de la population sur les produits bancaires de base, l'ignorance de la population qu'elle peut s’enrichir. Si nous ne travaillons pas sur cette dimension, quels que soient les moyens de communications, les innovations, les banques vont toujours travailler avec les mêmes clients, et l'économie ne va pas être accélérée. Pour nous, le premier défi des banques, c’est de sortir des formats classiques, s’ouvrir, accompagner les structures qui veulent travailler sur cette dimension, et élargir leur dimension RSE (ndlr : Responsabilité sociétale d’entreprise). C’est de cette manière qu’elles vont créer des vaches à lait pour travailler. C’est ainsi que nous voyons aujourd’hui les choses qui, a priori, ne sont pas évidentes. C’est du hors sujet, mais c’est en réalité le sujet !

Le professionnel de la banque et de la finance, Nabi Issa Coulibaly : « il faudrait même féliciter les banques, car au cours des dix dernières années, les taux débiteurs moyens ont connu une baisse entre 2014 et 2025 ; alors que le risque n'a pas véritablement changé au cours de la période, avec des crédits impayés, des salariés qui prennent des crédits et disparaissent, etc. ».

 

Le deuxième défi auquel les banques doivent faire face, c’est oser pendre davantage de risques pour accompagner certaines PME structurées, qui connaissent déjà les affaires, ont une expérience de crédits, pour leur permettre de booster rapidement leurs affaires. Le troisième défi pour les banques, c’est d’améliorer les conditions de travail de leurs propres agents pour qu’ils soient un peu plus disponibles et disposés à conseiller les clients, les guider, suivre les crédits octroyés, afin que les entreprises puisent les utiliser au mieux et créer de la valeur pour elles-mêmes, mais aussi pour la banque. Si les travailleurs sont épanouis, ajouter à ce que nous avons développé plus haut, c’est l’extraordinaire qui va se produire !

 

C.F : Vous avez soulevé la question de la culture bancaire, caractérisé par un faible taux de bancarisation. A qui la faute : la Banque centrale, les banques commerciales, l'État, ou les populations elles-mêmes ? 

N.I.C : Tout le monde est concerné. Je voudrais d'abord lancer un appel à la Banque centrale qui n'a pas forcément pour rôle de faire du bénéfice. Pour chaque opération bancaire réalisée par un client, notamment les transferts, les virements, etc. il y a une quotepart qui va à la Banque centrale. Sans que nous ayons des chiffres exacts, nous estimons qu'elle a aujourd'hui les ressources nécessaires pour financer significativement tout ce qui est dynamique d'éducation financière des populations, d'aide à l'esprit de la prospérité.  Ce premier défi que nous avons relevé plus haut relève aussi du rôle de la Banque centrale, qui peut appuyer ses partenaires, qui n'ont pas forcément les ressources. Nous pensons qu’aujourd'hui, la Banque centrale devrait pouvoir allouer des ressources, massivement et urgemment, dans ces genres d'activités, pour changer la donne le plus tôt possible.

 

Pour ce qui est des banques, c’est d’abord accompagner ce que nous venons de dire, à savoir l’éducation financière des populations. Deuxièmement, c’est améliorer leur aversion au risque. Car, une banque qui fonctionne depuis 15 ans, 20 ans, qui a pu dégager des revenus durant cette période, peu importe son capital, doit aussi pouvoir oser dégager une enveloppe pour soutenir les PME distinctives, cela fait partie aussi de son rôle. Cela crée non seulement des revenus, mais il y a également de la fierté d'avoir accompagné clairement des entreprises qui progressent, peut-être auxquelles personne n'y croyait. Car, elles ont ce coussin de sécurité minimale pour le faire.

Et troisièmement, au niveau de l'État, il faut saluer ce qu'il a commencé à faire en termes de sensibilisations des populations, à travers l’Agence Nationale de Promotion de la Finance Inclusive (ANPFI). Imaginez-vous que tous les acteurs soient mobilisés dans cette dynamique, ce serait une offensive d'inclusion financière, d'aide à l'esprit de la prospérité et de l'abondance. Ce détail peut changer tout. Et enfin, aux consommateurs, ils doivent aussi s'intéresser au sujet, lire un petit peu et y croire. 

 

C.F :  Au-delà de ce qui vous avez déjà développé, que faire pour que le secteur bancaire puisse davantage se développer et continuer à jouer son rôle dans le développement socio-économique de notre pays ?

N.I.C :  Nous pensons d’abord à l'État. Certes, il a déjà confiance aux banques, mais il pourrait le faire davantage, en leur confiant beaucoup plus d'opportunités, en sensibilisant aussi certains créneaux d'affaires pour les convaincre vers le secteur bancaire, qui, aujourd'hui, a la possibilité d'accompagner ce genre d'opérations financières au profit de l'État, tout en continuant à jouer son rôle régalien de supervision, de régulation du secteur. Toute économie qui se développe bien, vite et durablement est soutenue par le secteur privé. Si le secteur privé se développe, les banques vont se développer ; et si les banques se développent, elles seront plus fortes pour accompagner encore le secteur privé, cela devient un cercle vertueux. Ainsi, l'État s'assoit et vient tirer son lait chaque matin pour faire ce qu'il a à faire !

Pour les banques, au risque de me répéter, c'est ouvrir un petit peu les vannes, avec donc moins d'aversion au risque, pour permettre le financement de certains acteurs, qu’il s’agisse des salariés ou des PME. Du côté de la Banque centrale, nous n'allons pas dire d'alléger les conditions réglementaires, loin de là, mais il y a certainement des actions d'accompagnement, d'assistance pour faciliter la compréhension, la connaissance, l'information.

Mon mot de la fin, c'est de remercier C’Finance et ses animateurs pour l'initiative et les actions menées dans le cadre de la contribution à l'amélioration du climat des affaires, à travers la mobilisation de ses ressources pour la collecte et le traitement de l'information fidèle, spécialisée dans le secteur de la finance. Vivement que le schéma tracé s’élargisse au bénéfice des acteurs de la finance, des promoteurs, et naturellement au bénéfice des consommateurs, de la nation tout entière !

Interview réalisée par la

Rédaction de C’Finance

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