Le Directeur général de BOAD-Titrisation, Jean-Philippe Aithnard

Avec plus de 25 ans d’expérience sur les marchés financiers, le Directeur général adjoint de BOAD Titrisation, Jean-Philippe Aithnard, accompagne aujourd’hui le développement de solutions innovantes de financement pour la région UEMOA à travers la titrisation. Dans cette interview accordée à votre média en ligne, C’Finance, spécialisé dans le traitement de l’information financière, M. Aithnard développe les avantages qu’offre cet instrument de financement alternatif qu’est la titrisation. Tout en saluant l’intérêt de plus en plus croissant pour la titrisation sur le marché financier de l’UEMOA, il dégage des pistes d’actions devant permettre de mieux la promouvoir auprès des acteurs économiques de l’espace communautaire.

C’Finance (C.F) : Qu’est-ce que la titrisation, en français facile pour les non-initiés ?

Jean-Philippe Aithnard (J.P.A) :  La titrisation vient du mot « titriser », c'est-à-dire créer des titres basés sur des actifs non liquides, c'est-à-dire des actifs qu'on ne peut pas vendre facilement sur un marché, mais qui génèrent des flux financiers réguliers. Autrement dit, la titrisation est une technique financière qui permet de transformer ces actifs non liquides en titres négociables que l'on peut vendre sur le marché. Cette transformation se fait via un Fonds Commun de Titrisation de Créances (FCTC), qui achète ces actifs et émet des titres financiers que des investisseurs souscrivent. Cela permet aux banques ou aux entreprises qui cèdent ces actifs d’obtenir immédiatement des liquidités qu’elles peuvent réinvestir.

C.F : Concrètement, quelques exemples d’actifs non liquides que l’on peut titriser …

J.P.A :  Différents types d’actifs peuvent être titrisés, notamment :

  • Les créances bancaires, comme des prêts octroyés aux particuliers ou aux entreprises ;
  • Les contrats de leasing, par exemple dans le transport aérien ;
  • Les créances commerciales, telles que des factures en attente de paiement ;
  • Les redevances sur infrastructures, comme les péages routiers ou aéroportuaires.

Par exemple, l’aéroport de Londres a été titrisé : les redevances payées par les compagnies aériennes ont été utilisées pour lever des fonds et financer des rénovations. De même, le club de football Arsenal a titrisé les abonnements futurs de ses spectateurs pour financer la construction de son stade.

Dans notre région, la titrisation est un outil puissant qui permet de mobiliser des financements pour soutenir la croissance économique.

C.F : Y a-t-il une différence entre l’affacturage et la titrisation ?

J.P.A :  L’affacturage et la titrisation sont deux mécanismes qui permettent de convertir des créances en liquidités, mais ils fonctionnent différemment.

L’affacturage consiste à vendre des factures à une société d’affacturage, qui se charge ensuite du recouvrement auprès des clients. Cette activité est limitée par le bilan de la société d'affacturage.

La titrisation, aussi, permet de sortir les créances du bilan de l’entreprise ou de la banque qui les cède. Un FCTC rachète ces créances et émet des titres sur le marché, qui sont souscrits par des investisseurs.  En revanche, la capacité de financement ne dépend plus du bilan de la société d'affacturage, mais s’appuie sur l’appétit des investisseurs sur le marché financier, offrant ainsi un potentiel de levée de fonds bien plus large.

Le Directeur Général Adjoint de BOAD Titrisation, Jean-Philippe Aithnard : « les banques, entreprises et États comprennent de plus en plus l’intérêt de la titrisation comme outil de financement alternatif et complémentaire aux modes traditionnels ».

 

C.F : Pouvez-vous présenter BOAD Titrisation, dont vous êtes le directeur général adjoint ?

J.P.A :  BOAD Titrisation est une société de gestion de Fonds Communs de Titrisation de Créances (FCTC), créée en 2011 et filiale de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD). Nos missions sont : structurer et arranger des opérations de titrisation ; gérer les fonds communs de titrisation.  Nous avons été les premiers à obtenir un agrément dans la zone UEMOA en 2012 et avons réalisé plusieurs opérations de titrisation, totalisant environ 600 milliards de FCFA. En 2023 et 2024, nous avons lancé deux nouvelles opérations pour 310 milliards FCFA, consolidant ainsi notre rôle de leader sur le marché de la titrisation en Afrique de l’Ouest.

C.F : Le marché de la titrisation est-il bien développé dans la zone UEMOA ?

J.P.A : Le marché de la titrisation en UEMOA est en pleine expansion. Aujourd’hui, six sociétés de gestion de FCTC sont agréées, avec un volume total d’émissions avoisinant 1 800 milliards de FCFA. Quatre d’entre elles ont déjà réalisé des opérations, tandis que les deux autres devraient bientôt lancer leurs premières transactions. Cela témoigne d’un intérêt croissant pour cet outil de financement.

C.F : Qu'est-ce qui a motivé la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) à créer BOAD Titrisation ?

J.P.A : La BOAD a identifié un besoin de diversification des financements pour soutenir la croissance économique dans la région. Traditionnellement, les banques se financent via le refinancement de la BCEAO, les dépôts ou les lignes de crédit. La titrisation représente une alternative efficace qui leur permet de lever des fonds en mobilisant des actifs existants. BOAD Titrisation a donc été créée pour structurer ces opérations et offrir aux entreprises et aux institutions financières une solution innovante pour renforcer leurs capacités de financement.

C.F : En dehors des six sociétés de gestion de fonds communs de titrisation, quels sont les autres acteurs du marché de la titrisation ?

J.P.A :  Une opération de titrisation mobilise de nombreux acteurs :

  • L’arrangeur, qui structure l’opération ;
  • La société de gestion du FCTC : Elle administre le fonds, gère les flux financiers et s’assure du respect des engagements pris par le FCTC envers les autres acteurs ;
  • Le conseil juridique, qui s’assure de la conformité réglementaire et de la rédaction de la documentation juridique ;
  • L’auditeur de créances, qui vérifie l’existence et la validité des créances titrisées ;
  • L’agence de notation, qui évalue le risque des titres émis ;
  • Le chef de file, qui coordonne la distribution des titres ;
  • Le commissaire aux comptes, qui valide les états financiers du FCTC ;
  • Le régulateur, qui veille à la conformité de l’ensemble du processus.

En 2023 et 2024, la BOAD Titrisation a lancé deux nouvelles opérations pour 310 milliards FCFA, consolidant ainsi notre rôle de leader sur le marché de la titrisation en Afrique de l’Ouest.

 

C.F : Quels avantages pour un agent qui a besoin de capitaux de passer par ce mécanisme alternatif de financement qu’est la titrisation, plutôt que de s’orienter vers un autre produit financier sur le marché ?

J.P.A : La titrisation présente plusieurs avantages pour les entreprises, les banques et les institutions financières. Elle permet de :

  • Mobiliser rapidement des fonds : La titrisation permet de transformer des actifs illiquides en liquidités immédiatement disponibles. Par exemple, une banque qui détient un portefeuille de prêts à long terme peut titriser ces créances et récupérer des fonds qu’elle pourra réinvestir immédiatement dans de nouveaux financements.
  • Réorganiser son portefeuille de créances : Une entreprise ou une banque peut se retrouver trop exposée à un client ou à un secteur d’activité spécifique. En titrisant ces créances, elle peut mieux répartir ses risques et diversifier son portefeuille. Par exemple, une banque qui détient une part trop importante de crédits accordés à un même type d’entreprises peut céder une partie de ces créances à un FCTC, réduisant ainsi son exposition.
  • Optimiser la gestion des fonds propres (pour les banques) : Lorsqu’une banque accorde un prêt, elle doit immobiliser une partie de ses fonds propres pour respecter les ratios réglementaires. En titrisant une partie de ses prêts, elle libère ces fonds propres et peut ainsi accorder davantage de crédits, augmentant son volume d’activité sans nécessiter de capital supplémentaire. C’est notamment ce qui permet aux banques de continuer à financer les PME tout en respectant les exigences prudentielles.
  • Diversifier ses sources de financement : La titrisation ne remplace pas les autres formes de financement, mais les complète. Une entreprise ou une banque peut ainsi éviter de dépendre exclusivement de certains modes de financement (dépôts, lignes de crédit bancaires, emprunts obligataires) et s’appuyer sur plusieurs leviers pour assurer sa stabilité financière.

La titrisation est donc une solution flexible qui permet aux acteurs économiques de lever des capitaux, mieux gérer leurs risques, optimiser leur bilan et diversifier leurs sources de financement, tout en soutenant la croissance et l’investissement.

C.F : Mais la titrisation n'a pas que des avantages, il doit y avoir aussi de risques liés à ce produit financier alternatif...

J.P.A :  Comme tout produit financier, la titrisation comporte certains risques, bien que des mécanismes de protection soient mis en place pour les limiter. On peut citer le :

  • Risque principal pour le cédant – Engagement sur les premières pertes :
    dans une opération de titrisation, l’arrangeur demande généralement au cédant (banque ou entreprise qui vend ses créances) de s’engager à prendre les premières pertes en cas de défaut sur les créances cédées. Ce mécanisme permet d’aligner les intérêts du cédant avec ceux des investisseurs et de garantir que le recouvrement des créances sera effectué avec rigueur.  Par exemple, si une banque titrise un portefeuille de prêts aux PME et que certains emprunteurs ne remboursent pas, le cédant doit absorber ces pertes en premier, avant que les investisseurs ne soient affectés. Cela incite donc la banque à effectuer rigoureusement le recouvrement des créances qu’elle cède et à en assurer un suivi efficace.
  • Risque de taux d’intérêt pour les investisseurs :
    les titres émis par le FCTC étant des produits à revenu fixe, ils sont sensibles aux variations des taux d’intérêt. Si les taux du marché augmentent après l’émission des titres, ces derniers deviennent moins attractifs, car d’autres placements plus récents offrent un rendement plus élevé. Cela peut entraîner une baisse de la valeur de revente des titres sur le marché secondaire.
  • Risque de crédit – Qualité des créances sous-jacentes :
    les revenus des investisseurs dépendent exclusivement des remboursements effectués sur les créances titrisées. Si la qualité des créances se détériore (par exemple, en cas de hausse des défauts de paiement des emprunteurs), le risque de crédit augmente, impactant directement les flux financiers distribués aux investisseurs.  Par exemple, dans le cas d’une titrisation de crédits immobiliers, si un ralentissement économique empêche certains emprunteurs de rembourser leurs prêts, les investisseurs risquent de percevoir des rendements plus faibles que prévu. Il est à noter que l’arrangeur de l’opération de titrisation met généralement en place des mécanismes de protection qui diminuent l’impact de l’augmentation du risque de crédit sur les investisseurs. Ainsi la notation du risque des titres émis par le FCTC est généralement meilleure que celle des créances émis
  • Risque opérationnel – Problèmes techniques et gestion des flux financiers :
    une opération de titrisation repose sur la bonne gestion des flux financiers entre les créanciers, le FCTC et les investisseurs. Des erreurs techniques peuvent affecter le bon fonctionnement de l’opération. C’est pourquoi l’arrangeur et la société de gestion mettent en place des processus stricts de surveillance et de contrôle, ainsi que des outils automatisés pour minimiser ces risques et garantir une bonne gestion des flux financiers.

C.F : Y a-t-il un engouement des acteurs du marché financier pour la titrisation ?

J.P.A : Oui, il y a un intérêt croissant pour la titrisation sur le marché financier de l’UEMOA. Ces deux dernières années, BOAD Titrisation a émis 310 milliards de FCFA en titres émis par des FCTC, ce qui témoigne de la confiance des investisseurs et des institutions financières dans ce mécanisme.

D’autres sociétés de gestion ont également commencé à structurer des opérations avec des montants un peu plus bas, et les banques, entreprises et États comprennent de plus en plus l’intérêt de la titrisation comme outil de financement alternatif et complémentaire aux modes traditionnels. Cette montée en puissance prouve que la titrisation est en train de s’imposer comme une solution de financement incontournable pour dynamiser l’économie régionale.

Le Directeur Général Adjoint de BOAD Titrisation, Jean-Philippe Aithnard : « Nous intervenons régulièrement auprès des banques et des grandes entreprises pour les aider à identifier comment la titrisation peut répondre à leurs besoins, que ce soit pour optimiser leur bilan, mobiliser des ressources ou diversifier leurs sources de financement ».

 

C.F : Quels sont les contraintes et défis liés au développement de la titrisation sur le marché financier régional ?

J.P.A :  Le développement de la titrisation en UEMOA rencontre plusieurs défis :

  • Un besoin de sensibilisation et de formation : La titrisation est encore perçue comme une technique complexe, nécessitant une éducation des acteurs économiques pour en comprendre les mécanismes et les bénéfices. Il nous arrive d’expliquer plusieurs fois une opération à un client avant qu’il en saisisse pleinement les avantages.
  • Une structuration rigoureuse des opérations : Pour garantir l’adhésion des investisseurs et limiter les risques, il est essentiel de bien structurer chaque opération en mettant en place des mécanismes de protection solides.

Malgré ces défis, la titrisation s’affirme comme un outil performant, et nous travaillons activement pour lever ces freins et encourager son adoption.

C.F : Peut-on parler de défis en matière de d’éducation financière à partir du moment où votre cible n'est pas le citoyen lambda ou le paysan de mon village ?

J.P.A : Oui, absolument. Même les entreprises et institutions financières ont besoin d’une éducation financière spécifique pour mieux comprendre et exploiter les opportunités qu’offre la titrisation. Il ne s’agit pas ici d’éducation financière de base destinée au grand public, mais d’une sensibilisation avancée adaptée aux entreprises, aux banques et aux investisseurs. La titrisation reste une technique relativement nouvelle dans la zone UEMOA, et sa compréhension nécessite une maîtrise des mécanismes financiers complexes.

Notre rôle est donc d’accompagner ces acteurs pour leur expliquer comment structurer une opération, quels en sont les bénéfices concrets, et comment intégrer cet outil dans leur stratégie de financement. Nous intervenons régulièrement auprès des banques et des grandes entreprises pour les aider à identifier comment la titrisation peut répondre à leurs besoins, que ce soit pour optimiser leur bilan, mobiliser des ressources ou diversifier leurs sources de financement.

Bien sûr, la titrisation concerne principalement des opérations d’un certain volume, généralement supérieures à 10 milliards de FCFA, ce qui la destine à des institutions d’une certaine taille. Mais cela ne signifie pas qu’elle est réservée à un cercle restreint d’experts financiers. Avec une meilleure compréhension de cet outil, davantage d’acteurs économiques pourraient en tirer parti pour renforcer leur compétitivité et leur croissance.

C.F : Quelles alternatives pour mieux développer ce produit qu’est la titrisation sur le marché financier régional, vu qu’elle est un moyen de financement alternatif pour les économies, les entreprises de la sous-région ?

J.P.A : Deux leviers peuvent permettre d’accélérer le développement de la titrisation en UEMOA. Il s’agit de :

  • Attirer davantage d’investisseurs internationaux : en renforçant la transparence et la structuration des opérations, nous avons pu capter l’intérêt d’investisseurs étrangers à la recherche d’opportunités sur les marchés émergents ;
  • Élargir la gamme des actifs titrisables : aujourd’hui, la titrisation concerne essentiellement des créances bancaires, des créances de factures d'électricité, des créances de factures de télécom. Mais on peut faire beaucoup plus avec les infrastructures, les péages, les aéroports, les stades et plein d'autres choses.

En diversifiant les actifs et les cédants, nous pourrions rendre la titrisation encore plus attractive et mieux adaptée aux besoins du marché régional.

C.F : Pour les investisseurs, le rendement est-il plus intéressant avec la titrisation ?

J.P.A :  Le rendement d’une opération de titrisation dépend de plusieurs facteurs, notamment la nature des créances sous-jacentes, la notation de l’opération et la structuration des tranches. En général, les tranches les plus sûres offrent des rendements compétitifs par rapport aux obligations souveraines et aux autres titres disponibles sur le marché régional. Actuellement, nous observons des rendements de 7 % à 7,5 % sur les tranches les moins risquées et pouvant atteindre 9,5 % pour des tranches plus exposées au risque. De plus, les titres émis par les FCTC offrent l’avantage d’être cotés sur la BRVM et font l’objet d’une demande de refinancement auprès de la BCEAO, garantissant ainsi une certaine liquidité aux investisseurs.

C.F : Auriez-vous un appel à lancer ?

J.P.A : Oui, j’invite toutes les entreprises, institutions financières et investisseurs à s’intéresser de plus près à la titrisation. Pour les banques et entreprises, c’est un outil efficace pour optimiser leur bilan et mobiliser des liquidités sans alourdir leur endettement.

  • Pour les investisseurs, c’est une opportunité d’obtenir des rendements attractifs sur des titres bien structurés et sécurisés tout en offrant une diversification.
  • Pour le public en général, c’est une nouvelle forme de financement qui mérite d’être mieux comprise et adoptée.

Nous sommes à disposition pour accompagner toutes les structures qui souhaitent explorer cette alternative de financement et contribuer à la croissance économique de notre région. La titrisation est une solution d’avenir, et nous invitons tous les acteurs du marché à en tirer parti.

Interview réalisée par :

Ra-Yangnéwindé

Mouni N’GOLO

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