Institutions de microfinance illégales : « Ces structures profitent de la vulnérabilité des populations, en quête de solutions financières rapides... », dixit Dominique Tamini, expert en inclusion financière

Expert en inclusion financière et en finance agricole, Dominique Tamini est chef de Service réseau à la Coopérative Diocésaine d’Epargne et de Crédit de Ouagadougou (CODEC-Ouaga), une institution de microfinance agréée. Certifié ICDL (International Computer Driving Licence) START, il est l’auteur du livre "Inclusion financière : le crédit solidaire". Pour comprendre le phénomène des institutions de microfinance illégales et qui spolient les "pauvres populations", c’est à cet homme bien averti que votre média C’Finance a tendu son micro. Partant du cas récent de l’affaire "Microfinance Raagbiiga Cotisations", M. Tamini livre une analyse sans complaisance du fléau, de ses causes et conséquences, ainsi que les leçons à tirer. En expert, il donne également des conseils pratiques aux populations pour éviter de tomber dans le piège de ces institutions financières frauduleuses, tou en déclinant des stratégies à déployer par les acteurs pour venir à bout de ces pratiques illégales aux conséquences fâcheuses pour le secteur de la microfinance.
C’Finance (C.F) : Ces derniers temps l’actualité nationale a été marquée par l’affaire de vol de 250 millions F CFA à la société de « Microfinance Raagbiiga Cotisations », qui s’est révélé être une institution de microfinance exerçant sans autorisation, donc de manière illégale, selon les investigations du Procureur du Faso près le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou. En tant que spécialiste de la microfinance et acteur du domaine, comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
Dominique Tamini (D.T) : Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez afin que je donne ma lecture sur cette affaire en tant acteur de la microfinance. Nous avons accueilli cette nouvelle avec étonnement et stupéfaction. Malgré les efforts de sensibilisation et de communication des autorités de contrôle telles que la BCEAO, la Commission Bancaire, la tutelle qui est le Ministère de l’Economie et des Finances, à travers sa Direction de Surveillance et de Contrôle des Systèmes Financiers Décentralisés, mais également l’Association Professionnelle des Systèmes Financiers Décentralisés du Burkina Faso et des institutions de microfinances, il y a encore des quidams se livrent à ces pratiques non catholiques. Cela appelle à renforcer l’écosystème.
Cette affaire sonne l'alerte sur la nécessité d'un renforcement du contrôle et de la régulation. Elle met en lumière la fragilité du secteur de la microfinance au Burkina Faso, malgré les efforts pour renforcer les mécanismes de régulation et de surveillance. L'existence d'institutions opérant sans autorisation est un signal d'alarme pour une révision des dispositifs de contrôle. L'absence d'un cadre rigoureux et d'une supervision effective permet à des individus malintentionnés de prospérer dans un secteur qui devrait être un levier pour l'inclusion financière et non un terrain propice à des pratiques frauduleuses. Il serait pertinent de proposer une refonte ou une amélioration des outils de contrôle pour mieux identifier ces institutions informelles avant qu’elles ne causent des dommages conséquents.
Une autre impression que je pourrais avoir, c'est la crainte que cet incident impacte la confiance du public envers le secteur de la microfinance. En effet, lorsque de telles affaires émergent, elles peuvent entraîner une perte de confiance des populations vulnérables qui sont les principales cibles des microfinances. Ces dernières peuvent se sentir trahies ou désabusées, ce qui les amène à se tourner vers des solutions moins sûres ou même à abandonner l'idée de participer au système financier formel. Pour rétablir cette confiance, des actions de sensibilisation et une clarification sur les mesures de sécurité mises en place par les institutions légales seraient nécessaires. Ces impressions soulignent l'importance d'une régulation stricte et de l'éducation continue des acteurs du secteur pour prévenir de tels incidents à l'avenir.
C.F : Il semble que le phénomène d’exercice illégal d’activités de microfinance n’est pas nouveau. Qu’en est-il réellement ?
D.T : L’exercice illégal d’activités de microfinance n’est pas effectivement nouveau, cela est dû probablement au gain facile que les agents économiques recherchent. Vous savez que la pauvreté ou la recherche de gain facile amène les usagers à ne pas chercher à comprendre la légalité ou la reconnaissance légale d’une structure financière afin de mener une action quelconque.

La plupart des agents économiques ont besoin d’un micro-crédit pour fructifier leur économie. En effet, les autorités de tutelle font beaucoup d’efforts dans ce sens en réduisant les risques liés à ces genres de phénomène dans le secteur de la microfinance au Burkina Faso. Par ricochet les structures légales sont régulièrement surveillées et contrôlées par la Commission Bancaire et la Direction de Surveillance et du Contrôle des Systèmes Financiers Décentralisés (DSC-SFD).
Au cours de l’année 2023, la Direction de Surveillance et du Contrôle des Systèmes Financiers Décentralisés (DSC-SFD) a reçu et traité onze (11) dossiers de demandes d’agrément contre vingt-deux (22) en 2022. Elle a délivré 2 agréments et procédé au retrait de 10 agréments. Cela témoigne le travail abattu par les autorités de tutelle.
Au 30 septembre 2024, il y avait 120 institutions de microfinance au Burkina Faso (Ministère de l’Economie et des Finances). Malgré les résultats encourageants, avec des agréments délivrés et des retraits effectués, la vigilance reste de mise. Le défi reste de concilier l’accessibilité des services financiers à la population tout en assainissant le secteur. Une meilleure sensibilisation et un renforcement de la régulation sont essentiels pour limiter les risques.
C.F : Le Burkina Faso s’est doté d’une nouvelle loi sur la microfinance le 13 février 2025. Que dit cette législation en matière de création et de gestion d’institutions de microfinance sur le territoire burkinabè ?
D.T : Le 13 février 2025, le Burkina Faso s’est doté effectivement d’une nouvelle loi sur la microfinance intitulé « loi uniforme portant réglementation de la microfinance dans I'UMOA ».
Cette loi est structurée en 10 titres et 174 articles. Les titres regroupent : les dispositions générales qui font références à l’objet au champ d’application, aux définitions, aux opérations autorisées et aux opérations interdites ; les modalités d’octroi d’agrément, l’organisation de la profession et les conditions d’exercice de l’activité de microfinance ; la gouvernance et le contrôle interne, l’activité de finance islamique, les dispositions comptables et prudentielles, la supervision et contrôle des institutions de microfinance, la protection des coopérateurs ou des clients, le traitement des institutions de microfinances en difficulté, les sanctions et les dispositions diverses, transitoires et finales.
C. F. : Comment expliquez-vous que des acteurs, sans autorisation, puissent s’installer et exercer leurs activités dans un secteur régulé et contrôlé au point de réussir à mobiliser des centaines de millions FCFA ? A qui la faute ?
D.T : L'existence d'acteurs illégaux dans un secteur régulé s'explique souvent par la combinaison de plusieurs facteurs : la recherche du gain facile, l'ignorance des usagers, et des failles dans la régulation. Ces structures profitent de la vulnérabilité des populations, qui, en quête de solutions financières rapides, ne vérifient pas la légalité des institutions. De plus, certains acteurs mal intentionnés profitent des lacunes dans la supervision et la communication des autorités.

La responsabilité est partagée. D'une part, les autorités de régulation doivent renforcer les mécanismes de contrôle et de sensibilisation pour prévenir ces pratiques frauduleuses. D'autre part, les usagers doivent être davantage éduqués sur l'importance de choisir des institutions légalement reconnues. Finalement, la responsabilité incombe également à ceux qui facilitent ou ferment les yeux sur ces pratiques illégales, qu'il s'agisse de promoteurs malhonnêtes ou de complices dans le secteur. Un effort collectif de prévention, de régulation et d'éducation est essentiel pour contrer ce phénomène.
C.F : Quelles sont les conséquences de cette affaire pour le secteur de la microfinance et les leçons à tirer pour les différents acteurs ?
D.T : Les conséquences de cette affaire pour le secteur de la microfinance sont, entre autres, la réputation tant pour le secteur que le personnel, la réticence de certains partenaires technique et financiers, la méfiance des agents économiques vis-à vis des microfinances légales, la faible mobilisation de l’épargne, la diminution du résultat des institutions qui exercent légalement. Comme autres conséquences, on a l’impact sur la confiance des investisseurs étrangers. Cette affaire peut décourager les investisseurs étrangers potentiels à s’engager dans le secteur de la microfinance au Burkina Faso. Une telle situation crée un environnement d'incertitude et de risques, ce qui peut entraîner une réduction des financements extérieurs nécessaires à l'expansion des institutions légales et au soutien à l'inclusion financière.
Elle peut également engendrer un renforcement des mesures de régulation. En effet, face à une crise de confiance et aux risques accrus de fraudes, les autorités de régulation pourraient être amenées à durcir les normes et procédures d'agrément des institutions de microfinance. Cela pourrait entraîner une surcharge administrative et un ralentissement des processus pour les institutions légales, augmentant les coûts opérationnels et les délais d'approbation.
Pour ce qui est des leçons à tirer, il y a la nécessité de renforcer la sensibilisation et l'éducation financière. Les usagers doivent être mieux informés sur la légalité des institutions financières et les risques associés aux structures illégales. Les autorités doivent intensifier les campagnes de sensibilisation pour éduquer la population sur l'importance de choisir des institutions agréées et sur la manière de vérifier la légalité des structures.
Ensuite, il convient d’améliorer la coopération entre les acteurs du secteur. En effet, une collaboration renforcée entre les autorités de régulation, les institutions légales et les partenaires techniques et financiers est essentielle pour partager des informations, détecter les anomalies et éviter les dérives. Cela permettra également de créer un cadre de surveillance plus efficace pour prévenir de futures crises.
C.F : En tant que spécialiste de la question, quelle devrait être l’attitude des populations par rapport aux structures de microfinance, elles qui sont généralement victimes de ces institutions exerçant dans l’illégalité ?
D.T : L’attitude des populations est de toujours se renseigner auprès des autorités de la tutelle avant toute action de dépôts d’argent ou de demande de crédit (prêt) dans une quelconque institution de microfinance. Les populations doivent adopter une attitude plus vigilante et proactive face aux structures de microfinance. Avant de déposer de l'argent ou de s'engager avec une institution, il est essentiel qu'elles vérifient systématiquement la légalité de celle-ci en consultant la liste des institutions agréées disponible auprès des autorités compétentes, telles que le Ministère des Finances ou la Banque Centrale. De plus, elles doivent se renseigner sur la réputation et la solidité de l'institution en question, en s’assurant de son respect des normes et régulations en vigueur.
Il est aussi important que les populations fassent preuve de scepticisme face aux promesses de gains rapides, qui sont souvent un indicateur de pratiques douteuses. L'éducation financière et la sensibilisation continue sur les risques de l'illégalité dans le secteur de la microfinance doivent être renforcées pour éviter de nouvelles victimes. Enfin, les autorités doivent faciliter l’accès à des informations claires et accessibles pour que les citoyens puissent faire des choix éclairés et responsables.
C.F : Quelles stratégies ou mesures à déployer par les parties prenantes pour mieux lutter contre ce phénomène ?
D.T : Comme stratégies ou mesures à déployer à notre avis, c’est d’une part, appliquer sans réserve les textes en vigueur, renforcer les mécanismes de contrôle et de surveillance tout en donnant les moyens (humains, techniques et financiers) qu’il faut aux acteurs, aussi renforcer leurs capacités opérationnelles ; et d’autre part, accompagner techniquement et financièrement les institutions de microfinance à développer des produits et services financiers et non financiers adaptés aux communautés en vue de leur inclusion financière.
En outre, pour lutter efficacement contre ce phénomène, plusieurs stratégies doivent être mises en place. Il s’agit de renforcer la régulation et la coopération interinstitutionnelle. L'État doit non seulement appliquer les lois de manière stricte, mais aussi renforcer la coopération entre les différentes autorités de régulation, comme la Commission Bancaire, la BCEAO et le Ministère des Finances.

Il est crucial d’établir des mécanismes de partage d’informations en temps réel pour détecter rapidement les structures illégales et éviter qu’elles ne prospèrent. L'utilisation de technologies modernes pour le suivi et la supervision des institutions serait également bénéfique.
Il importe également d’améliorer la sensibilisation et l'éducation financière. Les acteurs de la microfinance, en collaboration avec les organisations de la société civile (OSC), doivent intensifier les campagnes de sensibilisation sur les risques associés aux institutions non agréées et sur l’importance de choisir des services financiers légaux. Des programmes d’éducation financière à grande échelle, accessibles à toutes les populations, sont nécessaires pour renforcer la compréhension des mécanismes financiers et des critères de sécurité.
Enfin, il y a lieu d’encourager l’innovation et l’inclusion financière. Les institutions de microfinance légales doivent être accompagnées pour innover et développer des produits financiers adaptés aux besoins spécifiques des populations vulnérables. Cela inclut non seulement les microcrédits, mais aussi des produits d’épargne et d’assurance, ainsi que des services de formation et d'accompagnement non financier. L’objectif est de rendre les services financiers plus accessibles, tout en renforçant la confiance dans le système financier formel. En somme, en combinant une régulation stricte, une éducation proactive et un soutien aux institutions légales, il est possible de réduire significativement le recours aux structures illégales et d’améliorer la résilience du secteur.
Interview réalisée par la
Rédaction de C’Finance