Une étude intitulée : « Evitement fiscal, fraude fiscale et fausse facturation commerciale : les risques pour le secteur minier sénégalais », publiée en août 2024, indique que les flux financiers illicites (FFI) pourraient faire perdre par an au Sénégal au moins 57 millions de dollars, voire plus de 153 millions de dollars.
A l’instar des autres pays en développement, les flux financiers illicites (FFI) coûtent cher aux recettes fiscales du Sénégal, et partant à son développement socioéconomique. En effet, selon une étude intitulée : « Evitement fiscal, fraude fiscale et fausse facturation commerciale : les risques pour le secteur minier sénégalais », conduite par William Davis, avec le concours de USAID et de Natural Resssource Gouvernance Institue, et publiée en août 2024, « le manque à gagner fiscal annuel du Sénégal dû à la fausse facturation commerciale se chiffre à au moins 57 millions de dollars et pourrait s’élever jusqu’à 153 millions de dollars ».
Ce qui équivaut à environ 1 % à 3 % des recettes fiscales du pays, soit à peu près autant que les dépenses publiques allouées aux transferts sociaux monétaires aux ménages, précise le rapport. En d’autres termes, si elles étaient encaissées, ces recettes perdues seraient suffisantes pour doubler la taille du programme sénégalais de transferts sociaux monétaires aux ménages.
Convoquant d’autres travaux (Cobham et Janský, 2018), le rapport indique qu’en 2013, les pertes de recettes fiscales du pays liées au transfert international des bénéfices de toutes les sociétés sont comprises entre 360 millions de dollars et 420 millions de dollars, soit 2,3 % à 2,7 % du PIB ou 12 % du total des recettes fiscales. En 2019, les pertes de même nature se sont établies à 45 millions de dollars ou 0,2 % du PIB, 1 % des recettes fiscales, selon les travaux de
Alessandro Chiari (2023). D’une manière globale, d’après diverses estimations, tous les ans, le pays perdrait 1 % à 12 % de ses recettes fiscales en raison des divers types de flux financiers illicites (flux de fonds liés à la corruption, à l’exploitation minière illégale, au blanchiment d’argent et au contournement des réglementations), et dont une part importante est liée au secteur minier, précise l’étude.
Abordant les causes de ces pertes sèches de ressources pour les caisses de l’Etat sénégalais, l’auteur du rapport indique qu’elles sont susceptibles d’être liées à la fraude fiscale ou aux transferts secrets de fonds obtenus par des activités frauduleuses ou d’exploitation minière illégale à l’étranger, ou au blanchiment de ces fonds. Il est peu probable qu’elles soient motivées par des velléités d’évasion fiscale de la part de multinationales, ajoute-t-il. D’ailleurs certaines études classent le pays de la Téranga par les parmi les pays à fort potentiel de flux financiers illicites.
« Par exemple, dans les estimations de Global Financial Integrity, le Sénégal est parmi les pays en développement à être les plus durement touchés. Sur les 111 pays en développement de l’échantillon, il se classe au 23e rang en part de flux financiers illicites estimés par rapport au total de ses échanges commerciaux en 2018 », souligne le rapport.
Les failles de l’administration fiscale
Selon les estimations de Cobham et Janský, les pertes fiscales estimées du Sénégal en pourcentage du PIB figurent au 19e rang ex-aequo des pertes les plus élevées sur les 147 pays et territoires inclus dans l’échantillon. Cependant, d’autres évaluations donnent un rang bien plus honorable au pays de Bassirou Diomaye Faye.
Il s’agit notamment des estimations de Lépissier et al., qui considèrent le Sénégal comme étant l’un des pays les moins touchés par les FFI ; le pays occupant le 102e rang sur 166 pays pour les sorties en pourcentage du PIB, et 89e en part du total des échanges commerciaux. Sans rentrer dans la bataille des rangs, une implacable constante se dégage : « Quel que soit le classement du pays, la taille absolue des estimations suggère que ce problème est de toute façon important, qui mérite d’être abordé, d’autant plus que le secteur extractif du Sénégal sera amené à revêtir encore plus d’importance une fois que la production de pétrole et de gaz aura commencé », note l’étude.
Le rapport s’est également penché sur les canaux ou mécanismes par lesquels ces FFI sont rendus possibles. Bien que le Sénégal dispose déjà « d’un cadre directeur solide » et des fonctionnaires de « haut niveau de capacité technique » pour lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales, le rapport souligne que ces pertes peuvent être attribuables à l’insuffisance des effectifs de l’autorité fiscale et au fait que l’administration publique n’utilise toujours pas de solutions de pointe pour lutter contre ces problèmes. Et ce sont autant de faiblesses que peuvent exploiter les entreprises et d’autres auteurs de flux financiers illicites.
C’est d’ailleurs ce que les multinationales ont tendance à faire en utilisant plusieurs modes opératoires pour éviter de payer des impôts dans le secteur extractif, fait savoir le rapport. Il s’agit notamment des sous-facturation des exportations de ressources naturelles, de l’inflation des coûts, de la « Capitalisation restreinte », de l’usage abusif de convention fiscale, de l’écrémage, des transferts indirects à l’étranger et de l’usage abusif de contrats de couverture.
Au regard de l’ampleur du phénomène, de son impact sur le développement socioéconomique et des bonnes perspectives du pays en matière de production gazière et pétrolière, le rapport a formulé des recommandations dans le sens d’aider le Sénégal à contrer les FFI qui érodent ces recettes publiques.
Renforcer les systèmes de contrôle
Au gouvernement sénégalais, il est demandé d’embaucher davantage de contrôleurs fiscaux chargés de traiter les questions du secteur extractif, d’assurer un solide mécanisme de partage de l’information entre les organismes publics et la coordination des politiques contrôlées par les différents ministères, de veiller à ce que les agents des douanes sénégalaises soient capables d’analyser ces données et puissent accéder à n’importe quelle base de données sur les transactions en monnaie étrangère, telle que celle détenue par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Quant au parlement, il lui est demandé d’augmenter le budget de l’autorité fiscale et de rester vigilant face aux risques d’érosion des recettes fiscales posés par les conventions fiscales et les traités bilatéraux d’investissement.
Pour ce qui est de la direction générale des impôts et des domaines, l’étude lui recommande de s’attaquer à la fausse facturation commerciale conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale des douanes pour lutter contre la fausse facturation commerciale, en partageant des informations avec les pays partenaires commerciaux (en particulier les Émirats arabes unis) pour pouvoir comparer les factures à l’exportation avec celles à l’importation ; mais aussi en élargissant à d’autres ports que Dakar le Programme de contrôle des conteneurs de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et de l’Organisation mondiale des douanes, tout en étendant son champ d’action au-delà des délits liés à la pêche.
Recommandation a également été faite au fisc sénégalais d’envisager l’adoption de solutions informatiques, telles que GFTrade et d’autres logiciels d’évaluation des risques, d’utiliser les estimations du Sénégal des flux financiers illicites nationaux pour identifier les zones à haut risque, de s’assurer que les exportations de produits extractifs sont correctement évaluées, en utilisant les techniques visées dans le guide intitulé : « Contrôler la valeur des exportations de minéraux : Options stratégiques pour les États » ; et de mettre en œuvre les plans existants d’audit des coûts des entreprises extractives et les élargir aux sous-traitants du secteur, tout en restant vigilant face aux risques d’érosion des recettes fiscales posés par les conventions fiscales et les traités bilatéraux d’investissement.
Ra-Yangnéwindé
Les chiffres clés de l’étude sur le Sénégal
- en 2019 et 2020, les recettes provenant des ressources naturelles représentaient entre 5 % et 6 % du total des recettes de l’État ;
- la contribution des industries extractives du Sénégal aux recettes de l’État pourrait être comprise entre 8 % et 9 % jusqu’en 2030 ;
- le secteur pétrolier et gazier sénégalais devrait apporter des recettes supplémentaires équivalentes à environ 0,6 % du PIB, soit 3 % des recettes publiques, par an en moyenne jusqu’en 2030 ;
- le Sénégal perdrait 1 % à 12 % de ses recettes fiscales en raison des divers types de flux financiers illicites ;
- les pertes de recettes fiscales du Sénégal dues à la fausse facturation commerciale (fausses déclarations en douane), estimées à 57 millions de dollars et pourrait s’élever jusqu’à 153 millions de dollars (1 % à 3 % des recettes fiscales), dont une part substantielle liée au secteur minier ;
- en 2013, le transfert de bénéfices des entreprises a fait perdre au Sénégal des revenus équivalant à 2,3 % de son PIB.
Source : Rapport d’étude
Les chiffres clés de l’étude sur l’ampleur et l’impact des FFI à l’échelle mondiale
- les multinationales transfèrent environ 35 % de leurs bénéfices dans des paradis fiscaux, soit une perte de l’ordre de 10 % des recettes fiscales mondiales des entreprises :
- le chiffre de bénéfices transférés s’élève à 60 % pour les multinationales américaines ;
- les pays non membres de l’OCDE sont privés de l’équivalent de 1,3 % de leur PIB en recettes fiscales sous l’effet du transfert de bénéfices ;
- les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure comme le Sénégal accusent une perte de l’ordre de 2,5 % à 9 % du total de leurs recettes fiscales en raison du transfert de bénéfices.
Source : Rapport d’étude
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