L’Assemblée législative de Transition a adopté le 23 décembre 2024, le budget du Burkina Faso pour l’année 2025 qui retrace les grandes lignes que le gouvernement entend mettre en œuvre au cours des 12 prochains mois. Pour permettre au citoyen lambda de mieux appréhender ce que présente ce budget, C’Finance, média spécialisé dans le traitement de l’information financière et économique a tendu son micro au chargé des programmes du Centre d’information, de formation et d’étude sur le budget (CIFOEB), Drissa Ouattara. Economiste, analyste des finances publiques et expert en gouvernance, Monsieur Ouattara est diplômé de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève.
C’Finance (CF) : Quelle est votre réaction à chaud après l'adoption du budget de l'Etat exercice 2025, le 23 décembre 2024 par l’ALT ?
Drissa Ouattara (D.O.) : L’adoption du budget constitue un acte majeur qui reflète les priorités stratégiques du gouvernement pour l’année à venir, c’est-à-dire 2025. Tel qu’adopté, le budget de l’Etat Exercice 2025 est globalement en cohérence avec le contexte actuel du pays qui impose des besoins accrus en matière de sécurité et de soutien aux populations déplacées, sans oublier que les secteurs sociaux ont aussi subi de plein fouet les effets de la crise. Donc c’est un budget qui traduit la volonté des autorités de répondre aux défis urgents, notamment en matière de sécurité, sans compromettre le développement économique et social.
Je dois aussi saluer le fait que le budget soit adopté avant la fin de l'année. Ce qui garantit la continuité administrative et la mise en exécution du budget dès janvier 2025.
CF : Le gouvernement présente ce budget comme un outil de combat pour la reconquête de l’intégrité du territoire mais aussi comme de développement. Qu'en dites-vous ?
D.O. : Je le pense aussi en regardant les chiffres de ce budget. En effet, la part budgétaire de la défense et de la sécurité est de 28 %. La santé et l'éducation représentent 41 %. Le développement rural vaut 5,6 %. Ces intentions affichées par l’Etat permettent de dire effectivement que ce budget cherche à répondre à l’urgence sécuritaire tout en jetant les bases d’un développement socio-économique durable. Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Il me semble que l’engagement budgétaire de l’Etat qui est d’allouer 10 % du budget au secteur agricole n’est pas satisfaisant. Je pense que le financement de l'agriculture au Burkina Faso constitue un défi majeur en raison de la dépendance de l'économie nationale à ce secteur et des contraintes structurelles qui limitent son développement notamment les chocs climatiques.
Il faut aussi rappeler que la part budgétaire élevée des secteurs sociaux est plus liée à un volume de dépenses incompressibles notamment les dépenses de personnel, l’investissement étant souvent faible dans ces secteurs.
CF : Quelles sont les forces et les faiblesses de ce budget de l’Etat, exercice 2025 ?
D.O. : Le budget exercice 2025 est bien appréciable dans bon nombre de points. En effet, bon nombre d’indicateurs macro budgétaires sont en amélioration et traduit l’effort quotidien de l’État d’assainir les finances publiques. Malgré donc la situation sécuritaire toujours difficile, la gestion des finances publiques reste relativement performante en matière de recouvrement de recettes et d’exécution des dépenses publiques de l’Etat.
Le déficit budgétaire en 2025 enregistrerait une amélioration par rapport à 2024 pour se situer à 3,2% du PIB. Les efforts budgétaires successifs au profit de la sécurité et de la défense avaient conduit à sa détérioration au cours des dernières années.
On peut donc dire que nous sommes dans une consolidation budgétaire pour reconstituer les marges perdues suite aux efforts budgétaires successifs dus à l’insécurité, la COVID 19 et les chocs climatiques pour permettre à l’Etat de planifier des actions de développements afin de réduire la pauvreté des populations. Cette consolidation budgétaire est matérialisée par l’amélioration des ambitions de mobilisation de ressources et la contraction des dépenses. Pendant que les recettes connaissent une hausse de 3,9% par rapport à 2024, les dépenses budgétaires, quant à elles, connaissent une baisse de 2,5% entre 2024 et 2025, correspondant à un montant de 93,8 milliards FCFA en valeur absolue.
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L’épargne budgétaire connait une légère amélioration de 3,7% par rapport à son niveau de 2024 mais reste encore très faible pour renforcer l’autofinancement des investissements. Un épargne budgétaire faible traduit une faible capacité de l’État à investir sur ressources propres et contraint à un recourt à l’emprunt. L’amélioration de l’épargne budgétaire est déterminante pour renforcer la souveraineté budgétaire du pays.
Dans tous les cas, ce ne sont que des prévisions, les résultats de l’exécution de ce budget seront encore plus parlants au moment de la redevabilité budgétaire.
CF : Ce budget sera alimenté à 94% par des recettes propres, contre 6% de recettes extraordinaires. Votre commentaire…
D.O. : Le fait que le budget 2025 soit alimenté à 94 % par des recettes propres et seulement à 6 % par des recettes extraordinaires est un signal fort de la volonté du gouvernement burkinabè de renforcer l'autonomie financière du pays. Ce constat est synonyme d’une dépendance réduite aux financements extérieurs, ce qui renforce la souveraineté économique du pays. Les financements extérieurs sont souvent conditionnés à des exigences des bailleurs de fonds, ce qui peut compromettre la flexibilité des priorités nationales. Donc, une part élevée de recettes propres permet de mieux aligner les ressources sur les besoins réels.
CF : 66,52% de ces dépenses budgétaires, soit un montant de 2 403 milliards F CFA, seront alloués aux charges de fonctionnement, contre 33,48%, correspondant à 1 209,3 milliards F CFA, affectés aux investissements en 2025. Quelle appréciation faites-vous de ces allocations ?
D.O. : Effectivement, l’investissement public reste encore faible. En effet, l’investissement représenterait, 33,5% des dépenses totales en baisse par rapport à son niveau de 2024 qui était de 37,20%. Rapporté au PIB, en 2025 le taux d’investissement est de 8,45% en baisse aussi par rapport à 2024 où il était de 10,32%. Ce faible niveau de l’investissement est la résultante d’une rigidité excessive du budget qui conduit à la concentration des dépenses sur les besoins courants, au détriment des investissements productifs à long terme.
CF : Quelle lecture faites-vous des allocations budgétaires pour les secteurs de la santé de la santé, de l’éduction, du développement rural (agriculture, élevage, environnement, eau, assainissement…) ?
D.O. : Globalement, depuis la crise sécuritaire les besoins croissants dans le secteur de la défense et sécurité font que les dépenses sociales représentent désormais une proportion plus faible du budget mais cela ne s’est pas encore traduit par une baisse significative des montants nominaux. Il y a une sorte d’effet d’éviction des dépenses sociales même si c’est relativement faible. Et dans cette logique, on peut dire quand même que les secteurs sociaux sont plus ou moins préservés des effets de l’insécurité sur le budget. Et c’est une bonne chose.
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CF : En tant qu'acteur de la société civile, quels sont les leviers que le CIFOEB aurait souhaité que le gouvernement mette en avant dans ce budget ?
D.O. : Globalement, le budget 2025 est cohérent avec la réalité actuelle du pays. Le plus important à mon avis, c’est d’arriver à assurer un équilibre entre l’urgence sécuritaire et humanitaire et les besoins de développement à long terme. Et cette approche intégrée se laisse voir dans le budget 2025. Il y a donc ce lien entre sécurité et développement, avec des programmes axés sur la résilience des populations affectées et la reconstruction des infrastructures dans les zones libérées. J’espère qu’à l’exécution, on aura la même structure du budget. Les prévisions sont ce qu’elles sont mais la réalité peut parfois nous éloigner de nos intentions de départ. C’est en fin d’exécution qu’on peut donc apprécier la sincérité de ces prévisions budgétaires de 2025.
Interview réalisée par
Mouni N'GOLO et Ra-Yangnéwindé
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