Burkina/Flux Financiers Illicites dans le secteur minier : un audit de la Cour des comptes relève les insuffisances du cadre juridique et institutionnel

La Cour des comptes a présenté aux journalistes les conclusions de son audit de performance sur le cadre juridique et institutionnel de la mobilisation des droits et taxes issus de l’exploitation minière de l’or et autres substances précieuses au Burkina Faso, le jeudi 03 avril 2025 à Ouagadougou. Dirigé par Sarah Bazié, Conseiller à la Cour des comptes, cet audit qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre les Flux financiers illicites (FFI) révèle des lacunes dans la gouvernance du secteur minier, exposant le pays à des pertes significatives de recettes publiques.
Les pratiques opaques dans le secteur minier sont des sources de Flux Financiers Illicites (FFI), faisant perdre d’importantes ressources à l’Etat Burkinabè qui auraient pu servir pour financer son développement. C’est ce que révèle un audit de la Cour des comptes intitulé « audit de performance sur le cadre juridique et institutionnel de la mobilisation des droits et taxes issus de l’exploitation minière de l’or et autres substances précieuses au Burkina Faso (2017-2022) ». Cet audit avait pour objectif d’évaluer l’efficacité des systèmes mis en place pour mobiliser et sécuriser les revenus miniers.
Les principales conclusions de ce rapport ont été présentées à la presse ce jeudi 03 avril 2025 à Ouagadougou par le Premier président de la Cour des comptes, Latin Poda, assisté par la cheffe de l'équipe qui a mené l'audit, Sarah Bazié et du Bureau de la Cour. Dans la présentation des résultats de l’audit, Sarah Bazié a souligné plusieurs dysfonctionnements majeurs, notamment dans l’attribution des titres miniers, ainsi que des problèmes de transparence dans les déclarations sur les quantités de minerais extraites. Selon elle, « le dispositif actuel (avant l’adoption du nouveau code minier : NDLR) manque de mécanismes de contrôle efficaces, ce qui ouvre la voie à des pratiques non conformes aux principes de bonne gouvernance ».
Le rapport d’audit révèle ainsi que les dispositifs de contrôle des quantités et de la qualité de l’or extrait s’avèrent défaillants. En outre, le suivi-contrôle des activités minières est insuffisamment assuré ; tandis que les capacités techniques et opérationnelles des structures de lutte contre les flux financiers illicites doivent être renforcées.
Un recouvrement fiscal défaillant
Sur le plan institutionnel, le rapport note que des structures telles que l’Autorité supérieure de contrôle d’État et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC), la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) et la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF) jouent un rôle clé dans la lutte contre la fraude et le blanchiment, mais leurs actions ont besoin d’être dynamisées.
Et sur le plan de la coopération internationale, l’échange automatique d’informations fiscales et douanières avec des pays tels que le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Maroc, avec lesquels le Burkina a des conventions en la matière, bien que mis en place, reste sous-exploité pour le recouvrement des avoirs détournés.
L’audit met aussi en évidence des irrégularités dans la collecte des droits et taxes. Le recouvrement des royalties et autres redevances minières est souvent tardif, dû principalement à la non-maîtrise des périodes d'affinage de l'or.

« Concernant les dividendes prioritaires que les sociétés doivent verser à l'État, on a constaté que sur la période 2017-2022, il n’y avait que trois sociétés sur une vingtaine qui avaient payé en 2018, à la fin de la période, dix sociétés qui avaient versé les dividendes », détaille Mme Bazié.
Et s'agissant des sanctions appliquées aux mauvais payeurs, la responsable de l’équipe d’audit déclare que bien que des pénalités et des amendes sont effectivement prévues en cas d’infractions, surtout les retards de paiement, l'audit a constaté que de 2018 à 2022, aucun titre minier n’a été retiré, aucune poursuite judiciaire engagée contre les entreprises en infraction, et aucune mise en demeure formelle n’a été émise.
Mettre en place une cartographie des risques liés aux FFI
Face à ces constats, la Cour des comptes propose plusieurs mesures pour améliorer la gestion du secteur minier et limiter les pertes de recettes publiques :
- développer l’expertise nationale et renforcer les capacités de suivi des activités minières ;
- mieux encadrer les incitations fiscales et améliorer la réglementation sur les prix de transfert ;
- dématérialiser les procédures et intégrer des systèmes d’information pour assurer une meilleure traçabilité ;
- mettre en place une cartographie des risques liés aux FFI dans le secteur minier et élaborer une stratégie de maîtrise ;
- renforcer la coopération internationale pour lutter contre les FFI et optimiser le recouvrement des avoirs détournés ;
- créer une réserve nationale d’or pour mieux valoriser la production locale.
Ces recommandations ont été pour la plupart prises en compte dans le nouveau code minier adopté en juillet 2024 pour renforcer la gouvernance du secteur, note le Premier président de la Cour des comptes.
« La plupart des recommandations que nous avons faites dans notre étude ont été prises en compte. Vous verrez par exemple que la dispense fiscale a été ramenée à deux ans. Et dorénavant, les particuliers ne peuvent plus bénéficier de permis de recherche, ce sont des sociétés bien établies qui peuvent y prétendre maintenant », a déclaré M. Poda.
Toutefois, la Cour des comptes insiste sur la nécessité de maintenir une vigilance accrue pour son application effective. Et selon les auditeurs, une bonne synergie entre toutes les parties prenantes et une meilleure utilisation des ressources publiques seront essentielles pour surmonter la résistance des entreprises minières à se conformer pleinement à leurs obligations fiscales.
Se référant au dernier rapport ITIE, les conférenciers ont souligné que le Burkina Faso a perdu 2774,59 milliards FCFA sur la période 2012-2021 dans les flux financiers illicites. « C’est autant de moyens qui sont soustraits au budget de l'État, qui auraient pu servir à construire, par exemple, des hôpitaux, des écoles. C'est vraiment un problème de développement », a déploré Sarah Bazié.
Quant au Premier président Latin Poda, il dit espérer qu'avec les mesures qui sont en train d'être prises dans le cadre de la révision législative, l'impact de l'exploitation minière sera davantage ressenti dans le développement du pays. « Il appartient à l'État de prendre les dispositions pour suivre correctement l'activité minière, de sorte que les déperditions de ressources ne soient plus possibles, ou au moins, qu’elles soient minimisées au maximum », a-t-il conclu.
Mouni N’GOLO